Opération délicate, le mouillage est souvent la dernière des choses que l'on apprend à maîtriser quand on navigue. Elle est pourtant capitale, est garanti les bonnes nuits à bord, où l'esprit serein quand on est à terre, le bateau seul.
Mouiller, c'est mettre le bateau à l'ancre. On n'utilise pas le mot "ancrer" en marine.
L'ancre est l'objet que l'on mouille au fond de l'eau, qui a pour fonction de retenir le bateau en s'accrochant au fond, par l'intermédiaire de la ligne de mouillage. Par extension, on parle aussi d'ancre flottante, ancre immergée dans l'eau mais pas au fond, qui ne fait que ralentir le bateau, et l'orienter dans une direction, en pleine mer.
Aujourd'hui, à bord de la plupart
des bateaux, l'ancre est en métal, généralement en
acier, parfois pour les modèles d'ancres légères,
en aluminium. Les peuples de navigateurs qui ne connaissaient
pas le métal, ou qui ne pouvaient forger des pièces suffisamment
importantes, fabriquaient des ancres en bois, en pierre etc...Les galères
de Caligula, retrouvées en 1931 au fond du lac de Nemi portaient
une ancre à jas en fer de 4 mètres de long, et une ancre
en bois renforcée de métal, avec
un jas en plomb, mesurant 5 mètres
de long (les galères mesuraient 75 mètres).
L'ancre, en fonction, peut faire deux choses : crocher, c'est-à-dire, on s'en s'accrocher au fond de manière à ne plus bouger et à retenir le bateau. C'est sa fonction normale. Elle peut aussi chasser, ce qui déplait à son propriétaire, puisqu'elle glisse alors sur le fond, de manière plus ou moins rapide, selon la nature du fond et le modèle de l'ancre. Certaines ancres peuvent re-crocher, après avoir chassé, d'autres glissent sans fin...
Il y a donc plusieurs modèles d'ancre.
L'ancre classique, symbole de la marine,
est l'ancre à jas, avec ces deux bras courbes terminés par
des pattes triangulaires, et un jas, perpendiculaires aux bras, le tout
relié par une pièce verticale, la verge. Bien qu'à
poids égal, elle ait un coefficient de tenue moins important, elle
reste irremplaçable sur les fonds herbeux. Nous n'en avons
pas à bord, mais il est certain que si l'on veut disposer d'une
vraie "ancre de miséricorde" à bord, ce devrait être
une ancre à jas surdimensionnée, de préférence
un modèle démontable, entreposée dans les fonds (l'ancre
de miséricorde, comme son nom l'indique est l'ancre de la dernière
chance : dans les situations
désespérées quand aucune
des ancres ne tient, que le bateau n'est plus en état de manœuvrer,
elle doit pouvoir le retenir, par exemple pour l'empêcher d'être
drossé sur un danger)..
L'ancre à soc de charrue, dite "CQR" (ces initiales prononcés à l'anglo-saxonne forment le mot "secur", sûr). Comme son nom l'indique, elle à la forme d'un soc de charrue double, qui s'articule à l'extrémité de la verge. La traction s'exerçant sur l'autre extrémité de la verge tend à faire s'enfoncer la pointe du soc double dans le sol. C'est l'ancre à poste sur Ataram, elle pèse 45 livres. C'est à notre avis la meilleure ancre sur les fonds de sable, de boue, de vase, d'argile, de coquillages brisés. Par contre, elle croche mal sur des algues, des herbes ou des fonds rocheux, cailloux et même galets, de notre point de vue.
Nous lui préférons, sur les sols pierreux l'ancre à bascule, dite "ancre plate". Formés de deux pattes larges et trapues, qui s'articulent sur un même plan, parallèles à la verge. Ces pattes nous paraissent se caler plus facilement sous les roches. Mais mouillé dans des rochers n'est jamais idéal...Plusieurs modèles légèrement différents sont produits sur la même base (FOB, Danforth, Britanny, Fortress); nous possédons une Britanny de 40 livres, et une Fortress, ancre légère en aluminium, de 10 kilos seulement, mais qui est réputée avoir le même coefficient de tenue qu'une ancre presque trois fois plus lourde.
Les américains affectionnent particulièrement l'ancre Bruce, qui présente l'avantage d'être construite d'une seule pièce; elle est donc très solide.
Pour les plus petites embarcations, on utilise un grappin comme ancre.
L'ancre peut être reliée au bateau par de la chaîne ou du bout de nylon. La chaîne présente l'avantage de la solidité et du poids; le poids de la chaîne posé au fond de l'eau ajoute à la tenue du mouillage. Le nylon présente l'avantage de l'élasticité, qui permet d'amortir les coups de rappel que la houle, ou les rafales peuvent imposer au bateau. Mais le nylon est fragile. Il peut se casser en s'usant sur un rocher au fond de l'eau etc... La plupart des navigateurs choisissent le moindre maux en mouillant tout sur chaîne, ou essayent de combiner les avantages des deux en mouillant sur une ligne faite de chaîne d'abord, et prolongée par un câblot de nylon.
Comment mouiller ?
Bien mouiller ne s'explique pas en quelques
lignes, même pas en un gros volume, c'est affaire d'expérience.
Mais quelques données fondamentales aident. Le principe est de choisir
un endroit où l'on estime que l'on est, le plus possible, protégé
du vent, mais surtout de la houle, qui exerce les forces les plus fortes
sur le voilier. L'endroit où l'on va mouiller l'ancre doit
être suffisamment éloigné de tout danger pour permettre
au bateau d'éviter de tous côtés, c'est-à-dire
de tourner autour de son ancre en faisant un cercle complet, sous la poussée
du vent, de la houle ou du courant. Si ce n'est pas possible, il faudra
assurer le bateau par d'autres moyens pour l'empêcher d'éviter
vers les dangers. Il faut bien sûr choisir, grâce au sondeur,
un endroit pas trop profond, qui rendent possible de respecter les
normes de longueur de ligne avec le matériel
et les forces (pour relever l'ancre) dont on dispose à bord.
Ce qui signifie généralement, pour un bateau comme Ataram,
qu'il est sage de chercher à mouiller par moins de 20 mètres
de fond. Enfin, il faut s'assurer de la nature des fonds, soit en
consultant une carte marine, soit en prélevant un échantillon
du fond grâce à un sondeur à main conçu pour
cela. En dernier recours, il faut essayer de mouiller pour vérifier
la tenue...et être prêt à recommencer ailleurs...
Deux types de fonds on une tenue médiocre, voire nulle : la roche pure, plate, sans aspérités ni galets et les vases, sables ou cendres (îles volcaniques) très très fin, dans lesquels l'ancre pénètre, mais ne croche jamais. Le bateau la tracte, lentement mais sûrement...Les fonds rocheux ou corailleux ne sont pas idéal, mais l'ancre peut toujours trouver une aspérité pour crocher. Le tout sera de pouvoir la retirer...Les fonds herbeux, algeux sont trompeurs : l'ancre peut crocher les algues, qui tiennent un moment avant de s'arracher. En Patagonie, il y a beaucoup de forêt d'énormes algues sous-marines : le kelp. Algues particulièrement solide, nous connaissons des bateaux qui estiment que l'on se contenter de s'y crocher. Il faudra alors se dégager à la machette... Le sable, la vase, l'argile et les coquillages brisés sont les meilleurs fonds, la perfection étant un fond qui laisse l'ancre s'enfoncer suffisamment, mais qui ensuite la retient envers et contre tout. La vase ou le sable dur, l'argile sont parfaits.
Ensuite, on se prépare à lâcher
l'ancre et suffisamment de ligne de mouillage pour que la traction exercée
par le bateau sur l'ancre soit plus horizontale que verticale.
C'est en effet la condition nécessaire à toutes les ancres
pour s'enfoncer, quel que soit le type de sol. Il faut donc mettre
plus de ligne que la hauteur d'eau, généralement le triple,
pour qu'une partie de la ligne traînent sur le fond, et tire
l'ancre de façon à ce qu'elle s'enfonce. Pour s'assurer
de la traction, on doit profiter de la vitesse du bateau, lâchant
l'ancre avant qu'il ne soit arrêté, il fera face sur son ancre
si elle a bien croché. Mais généralement, par vent
ou courant suffisamment
fort, on mouille face à l'élément
dominant (celui qui exercera la plus grande force sur le bateau), et on
laisse le bateau culer (reculer) sous la force des éléments,
en surveillant que l'ancre exerce un bon rappel.
Ensuite, on mouille encore une certaine longueur de chaîne (et/ou de bout). Les avis divergent sur la longueur à mouiller : une certitude : trop fort et trop long n'ont jamais manqué. On entend des chiffres divers, de sept fois la hauteur d'eau à trois fois celle-ci. Cela dépend notamment du poids de l 'ancre, de celui de la chaîne, (lié à son diamètre : nous employons de la chaîne de 12 mm, assez grosse pour la taille du bateau), mais aussi de la place que l'on a pour éviter, et surtout, évidemment des éléments que l'on a affronter ! Nous connaissons un seul chiffre "scientifiquement" calculé : on nous a appris que la CQR s'enfonçait dans le sol tant qu'elle recevait une traction sous un angle de maximum 17° par rapport au fond. Après, elle se détache. Un peu de trigonométrie (calcul de l'hypoténuse du triangle proue-fond-ancre, avec l'angle x qui doit faire 17° : 1/tangente de 17° = 3.27 ) nous apprend qu'il faut donc au moins 3.3 fois la hauteur pour s'assurer de la tenue de sa CQR.
Quand tout est fini, on s'assure que les
repères que l'on a pris à terre (des amers alignés
de préférence) n'ont pas bougés. Dans les tropiques
le luxe suprême est de plonger pour voir si l'ancre est bien prise,
la chaîne claire etc... Ensuite, on profite de la vie et de
la sécurité d'un bon mouillage...En gardant toujours dans
un coin de sa tête une idée de la conduite à
tenir en cas de catastrophe, même improbable, tel que bris de la
chaîne etc...
Face à des situations particulières, on peut être amené à mouiller plusieurs ancres : empenneler et affourcher.
Empenneler, c'est disposer deux ancres sur une même ligne, la première, plus petite, étant accrochée à la seconde par le diamant (organeaux situé à l'opposé de la liaison ancre-ligne, sur la "tête" de l'ancre (le mot "tête" n'est pas du tout étiquetté "marine"). Idéalement, il faut que la distance entre les ancres soit égale à la hauteur d'eau pour faciliter la remontée. C'est une pratique sur laquelle les marins ne sont pas d'accord : certains la trouvent très sûre, d'autres la trouvent dangereuse avec les ancres modernes. Nous elle nous satisfait, notamment pour une mauvaise raison : quand on ne sait pas exactement ce qu'il y a en dessous, on empennele deux modèles d'ancres différents, un qui marche mieux dans la vase, l'autre dans les cailloux; augmentant les chances de tenue).
Affourcher, c'est mouiller une deuxième ancre. On affourche soit pour résister à un vent très fort dont on connaît la direction : l'angle entre les mouillages doit alors avoir entre 10° et 45°. On peut aussi vouloir éviter un évitage trop important, l'angle peut alors aller jusqu'à 180°, dans le cas d'un mouillage où le bateau doit rester sur la même ligne, en subissant des forces différentes : typiquement en rivière, pour contrer l'action du courant, changeante évidemment, mais aussi dans certaines baies mal protégée pour que le bateau reste face à la houle dominante; dans les mouillages encombrés, enfin, pour que les bateaux ne se rentrent pas dedans...
En plus de tout ce que l'on peut mettre dans
l'eau, on peut aussi assurer un mouillage en portant des bouts à
terre. Nous avons plusieurs fois accrochés Ataram à
des arbres, soit pour l'empêcher d'éviter vers la terre, soit
pour le maintenir arrière face au vent, etc... Rien n'empêche,
et nous l'avons fait, de planter une ancre à terre, quand rien ne
permet d'accrocher des bouts.
Une manière très agréable
d'immobiliser le bateau est de trouver un coffre
: bouée assurée au fond, généralement par du
ciment coulé, ou un autre système solide...on se contente
alors de mettre des bouts sur la bouée, ou suivant les cas, de remonter
le bout principal à bord pour le tourner sur un taquet.
* Si vous voulez édudiez cette question capitale convenablement, reportez-vous aux ouvrages de références :
Le nouveau cours des Glénans, le Guide
pratique de la manoeuvre de Eric Tabarly, et deux ouvrages spécialisés
: Mouillages et apparaux, Jean-Michel
Barrault, Les dossiers des Editions du Pen-Duick,
1988 et Mouillage, équipement et technique, Alain Grée, Voiles,
Gallimard, 1981.