Le lendemain,
le mauvais temps s’est installé, il pleut et le vent est fort, de
nord. Un front passe…Mais cela n’effraye pas les z’ataramiens, qui
s’en vont expliquer à la Gobernacion qu’ils vont profiter du vent
du nord pour descendre vers le sud… Oui, mais non, on ne part pas aujourd’hui,
le port est fermé, leur est-il répondu. Bloqués,
pris en otage. N’étant pas sûr de gagner la course avec
la vedette de l’Armada, on se plie au dictat. Bien vu, gobernacion…Dans
l’après-midi, alors que l’on visite Conchi, petit port de pêche
au sud de Castro, le vent se fait plus violent, la pluie tombe par seau.
Il ne doit vraiment pas faire bon dehors… On rentre au bateau, difficilement,
suant sur les rames pour rejoindre Ataram (un moteur, père Noël,
trouve-nous un moteur !), et on fait les marmottes sous les couettes.
La dernière info météo annonce qu’un front suit l’autre
; une situation post frontale sera donc suivie d’une préfrontale…Le
port restera donc plus que probablement fermé demain… Mauvais pour
l’horaire ça ! Le problème avec la voile, c’est
que les circonstances pour lesquelles on est coincé au port sont
aussi celles qui rendent le tourisme terrestre peu agréable…
On va lire donc !
La nuit tombe sur Castro
et le vent disparaît complètement ; Ataram se promène
gentiment autour de son ancre au grés des courants de marée.
Notre voisine, une grosse barge un peu sinistre fait malheureusement à
peu près la même chose avec cependant un léger décalage
ce qui donne un balai un peu inquiétant, surtout pour notre frêle
coque blanche en polyester. Quelques parebattes plus loin, nous revoilà
dans nos couettes.
Samedi matin, le drapeau
bleu à croix blanche qui interdit aux bateaux de quitter le port
n’est plus la, la baie ressemble à un lac et le soleil brille.
On lève l’ancre vers 11 heures, après dernier petit tour
à terre histoire d’acheter un peu de pain et de recevoir notre autorisation
de quitter Castro.
On se rend à
l’évidence : dans le coin, il faut choisir entre le soleil et le
vent. Aujourd’hui, le soleil a gagné et ce sera donc Perkins
qui se chargera de nous sortir du canal de Castro.
Le vent fait une maigre
apparition dont profite Pierre pour envoyer les voiles, qui pendent lamentablement
le long du mât entre les rares risées qui rident à
peine la surface. Plus tard dans l’après midi, changement
de régime, Eole s’éveille et nous gratifie d’une petite brise
nous permettant d’avancer doucettement, en tirant des bords car évidemment,
Eole souffle du Sud. Vers 20 heures, bilan mitigé, on a parcouru
à peine 30 milles depuis ce matin, on aurait presque pu faire aussi
bien à la rame dans notre annexe. Le soleil emporte Eole avec
lui et la nuit se déroulera donc sous Perkins. Avec lui au
moins on est au cap ! Perkins très en forme nous gratifie
d’une moyenne étonnante d’environ 6 nœud durant la première
moitié de la nuit , moyenne qui descend aux alentours de 3 – 4 nœuds
à partir de 4 heures du matin. Vous avez dit courants de marée
?…
C’est finalement au
moteur que nous arriverons devant le petit village de pêcheurs de
Melinka. Nous trouvons au village quelques fruits et légumes
ainsi qu’un peu de pain. On profitera même de l’hospitalité
des insulaires pour prendre une douche bien chaude. Déception
par contre du côté du ravitaillement en diesel. Ici,
on ne vend que de l’essence. Pour le diesel, il faut s’adresser au
maire qui accepterait éventuellement de nous vendre un peu de celui
qui sert à alimenter le groupe électrogène de l’île.
La marie est fermée pour cause de dimanche mais on nous propose
gentiment de nous emmener voir le maire chez lui. Notre interlocuteur
nous apprend aussi qu’il y a du diesel à Puerto Aguirre où
nous serons après-demain. On décide donc de laisser
le maire en paix. On se ravitaillera à la « bomba »
de Puerto Aguirre.
Traditionnel passage
chez nos amis de la gobernacion maritima où on nous demande comme
d’habitude le jour et … l’heure de notre arrivée au prochain port.
On passe la nuit devant le village et le lendemain matin, on appareille
pour Isla Francisco quelques 35 milles plus loin, mouillage « custom
» de Voyou, à Claude et Margot (un mouillage «
custom » est un mouillage non référencé…dans
les notes que l’on possède à bord, ce qui est très
relatif évidemment).
Le journal de bord
est assez laconique en ce lundi 28 décembre : « crachin -
pétole – bourrin ». On pénètre dans le
mouillage de l’île Francisco vers 19 heures, juste à temps
pour une petite excursion à terre. La végétation
est encore très dense et nous empêche de pousser très
loin nos investigations. On découvre une source d’eau dans
laquelle on viendra faire un peu de lessive demain matin.
Après la petite
lessive, on lève une nouvelle fois l’ancre pour continuer notre
descente vers le Sud, par le Canal Perez. La destination du jour
est la baie d’Isla Canal. Nous y arriverons en milieu d’après
midi , accompagné par un bon grain et une chute du baromètre.
Le vent souffle fort ce soir et on rajoute encore quelques mètres
de chaîne, histoire de bien résister aux assauts d’Eole.
Mercredi matin, tout
est calme, le soleil brille, le baromètre est bien haut. Petit
déj sans pain ce matin. Celui de Melinka est épuisé
et Pierre a eu la flemme d’en faire hier soir. On se console avec de bonnes
crèpes préparées par Robert.
Un groupe de dauphins
vient nous saluer à la sortie du mouillage. Ils doivent être
assez casanier, parce que dans les notes dont nous disposons, l’équipage
de Morgane a indiqué que lors de leur passage, il y a deux ans,
l’entrée de la baie était gardée par des dauphins.
Les proprios s’étaient donc caché lors de notre arrivée,
pour cause de pluie, mais les voilà qui saluent notre départ
au soleil. Une vingtaine de milles nous sépare de notre prochaine
escale : Puerto Aguirre.
Nous avons à
traverser un long chenal, orienté nord-sud, qui renforce la petite
brise. Le trajet recommandé, qui coupe le chenal à
angle droit pour rejoindre l’itinéraire officiel sous le vent des
îles nous laisserait fort peu profiter de cette brise, et nous décidons
d’en sortir, en « coupant » vers le sud-est. La carte
ne porte pas de profondeur pour cette zone, sans doute jamais sondée.
Prudents, nous faisons donc de nombreux points, et veillons attentivement.
Mais bientôt un doute nous prend : le cap annoncé par le navigateur
ne plaît pas beaucoup au barreur, qui a jeté aussi un coup
d’œil sur la carte. Quelques questions des plus diplomatiques sont
échangées, histoire de vérifier que chacun sait encore
où est le sud, d’où vient le vent, et surtout, quelle est
cette île là, au milieu du jeu de quille. Robert ne
se prive pas de participer à l’embrouille, et pendant un moment,
trois capitaines suggèrent chacun leurs cap et option, assez différents
bien sûr. La réconciliation se fait sur le compte de
la carte : non seulement elle n’est pas sondée cette zone, mais
elle est mal cartographiée. On nous avait prévenu que
toute la cartographie des canaux n’avait pas encore été refaite
selon la méthode du système GPS, et que des écarts
jusqu'à deux milles pouvaient se présenter avec le point
GPS. Mais là, on a l’impression que l’île en question
est tout simplement mal située, même en tenant compte d’un
décalage avec notre position GPS. Ben, y’avait qu’à
pas sortir des itinéraires recommandés ! Maintenant,
il s’agit de retrouver la passe que l’on voulait emprunter pour rejoindre
ce trajet…Et bien entendu, une fois que l’on a mis la carte en doute, la
confiance est difficile a rétablir…Mais, remarquable exploit, les
z’Ataramiens évitent l’ataramiade, et se retrouvent sains et saufs
dans le chenal balisé.
Quelques milles plus
loin, le très joli
village de Puerto Aguirre apparaît sur les collines de Isla
Las Huichas. Des maisons
colorées forment un patchwork sur les
monticules verts. D'innombrables
barques de pêcheurs occupent toutes les plages. Située
a l’extrémité sud de l’île, le village est isolé
du chenal par la petite Isla Eugenio, qui protège plusieurs petites
anses de l’île principal, en faisant autant de mouillages idéaux.
Sur cette petite île se trouve le cimetière de la ville.
On rêve de voir un enterrement, ce doit être fabuleux de voir
la suite de barques multicolores s’étirer lentement du village au
cimetière dans ce petit chenal encaissé. Mais heureusement
pour nos hôtes, nous n’en verront pas.
Nous mouillerons d’abord
devant la ville pour faire le plein de diesel et de vivres. On rendra
même « service » à la communauté, en échangeant
une partie de ce diesel contre de l’essence, actuellement en rupture de
stock sur l’île. Nous, depuis que l’on a plus de moteur hors-bord,
elle nous est devenu un peu inutile. Ensuite, on choisira une petite
anse pour passer la nuit tranquille. En se promenant sur l’île,
on profite d’une vue exceptionnelle sur les
sommets enneigés des Andes.
Et le lendemain, vamos
pour la Laguna San Raphael. Prochain village : Puerto Eden, après
le Golfe de Penas.
On croise des dauphins,
des lions de mer et des manchots en quittant notre mouillage. Bien
qu’au moteur, la navigation est agréable, sous le soleil, dans un
dédale de petite île, et les Andes en arrière plan.
Après quelques zig-zag, nous voilà descendant le long canal
Costa avec, miracle, dieu existe, du vent dans le dos. Pas suffisant
pour faire une vitesse décente, mais quand même ! Avec
Perkins à mi-régime, et même le courant, on galope
à plus de 7 nœuds…On va donc plus loin que ce que l’on imaginait,
mais pas tellement, car quand le courant change, nous voilà nous
traînant jusqu'à Puerto Bonito, dans la Bahia Eugenia.
Il pleut jusqu’au soir. Le baro baisse. Hé, s’avez quoi,
on est le 31 ! Anne et Robert n’ont heureusement pas perdu ça
de vue ; ils cuisinent depuis le début de la nav, et en sont à
fignoler le dessert ! Faut dire que ce soir, on ne fête pas
qu’un quelconque changement de date, mais aussi, à minuit, l’anniversaire
de Robert ! On se gave donc jusqu’à minuit, ben oui, un peu
comme vous tous…Sauf qu’à minuit, on recommence, pour l’anniversaire
!
Non, gentils lecteurs,
on ne vous oublie pas : perdu loin de vous dans les tréfonds de
la fin du monde, nous vous souhaitons une très heureuse avant dernière
année du xxè siècle ; qu’elle soit faite de bonheurs,
sur terre, sur mer, et pourquoi pas, dans les airs.
Puissiez-vous être
des rêveurs diurnes, de ceux qui réalisent leurs rêves,
et continuent de rêver, pour s’en faire de nouveaux.
(tout ca pour vous
glisser une petite citation… :
« All men dream
: but not equally. Those who dream by night in the dusty recesses
of their minds wake up in the day to find that it was vanity : but the
dreamers of the day are dangerous men, for they may act their dreams with
open eyes, to make it possible ». T.E.Lawrence, Seven Pilars of wisdom
)