Journées du 25 au 31 décembre : Noël à Chiloé, Nouvel-an isolé 
 
Le lendemain, le mauvais temps s’est installé, il pleut et le vent est fort, de nord.  Un front passe…Mais cela n’effraye pas les z’ataramiens, qui s’en vont expliquer à la Gobernacion qu’ils vont profiter du vent du nord pour descendre vers le sud… Oui, mais non, on ne part pas aujourd’hui, le port est fermé, leur est-il répondu.  Bloqués, pris en otage.  N’étant pas sûr de gagner la course avec la vedette de l’Armada, on se plie au dictat.  Bien vu, gobernacion…Dans l’après-midi, alors que l’on visite Conchi, petit port de pêche au sud de Castro, le vent se fait plus violent, la pluie tombe par seau.  Il ne doit vraiment pas faire bon dehors…  On rentre au bateau, difficilement, suant sur les rames pour rejoindre Ataram (un moteur, père Noël, trouve-nous un moteur !), et on fait les marmottes sous les couettes.  La dernière info météo annonce qu’un front suit l’autre ; une situation post frontale sera donc suivie d’une préfrontale…Le port restera donc plus que probablement fermé demain… Mauvais pour l’horaire ça !   Le problème avec la voile, c’est que les circonstances pour lesquelles on est coincé au port sont aussi  celles qui rendent le tourisme terrestre peu agréable…  On va lire donc ! 

La nuit tombe sur Castro et le vent disparaît complètement ; Ataram se promène gentiment autour de son ancre au grés des courants de marée.  Notre voisine, une grosse barge un peu sinistre fait malheureusement à peu près la même chose avec cependant un léger décalage ce qui donne un balai un peu inquiétant, surtout pour notre frêle coque blanche en polyester.  Quelques parebattes plus loin, nous revoilà dans nos couettes. 

Samedi matin, le drapeau bleu à croix blanche qui interdit aux bateaux de quitter le port n’est plus la, la baie ressemble à un lac et le soleil brille.  On lève l’ancre vers 11 heures, après dernier petit tour à terre histoire d’acheter un peu de pain et de recevoir notre autorisation de quitter Castro. 

On se rend à l’évidence : dans le coin, il faut choisir entre le soleil et le vent.  Aujourd’hui, le soleil a gagné et ce sera donc Perkins qui se chargera de nous sortir du canal de Castro. 

Le vent fait une maigre apparition dont profite Pierre pour envoyer les voiles, qui pendent lamentablement le long du mât entre les rares risées qui rident à peine la surface.  Plus tard dans l’après midi, changement de régime, Eole s’éveille et nous gratifie d’une petite brise nous permettant d’avancer doucettement, en tirant des bords car évidemment, Eole souffle du Sud.  Vers 20 heures, bilan mitigé, on a parcouru à peine 30 milles depuis ce matin, on aurait presque pu faire aussi bien à la rame dans notre annexe.  Le soleil emporte Eole avec lui et la nuit se déroulera donc sous Perkins.  Avec lui au moins on est au cap !  Perkins très en forme nous gratifie d’une moyenne étonnante d’environ 6 nœud durant la première moitié de la nuit , moyenne qui descend aux alentours de 3 – 4 nœuds à partir de 4 heures du matin.  Vous avez dit courants de marée ?… 

C’est finalement au moteur que nous arriverons devant le petit village de pêcheurs de Melinka.  Nous trouvons au village quelques fruits et légumes ainsi qu’un peu de pain.  On profitera même de l’hospitalité des insulaires pour prendre une douche bien chaude.  Déception par contre du côté du ravitaillement en diesel.  Ici, on ne vend que de l’essence.  Pour le diesel, il faut s’adresser au maire qui accepterait éventuellement de nous vendre un peu de celui qui sert à alimenter le groupe électrogène de l’île.  La marie est fermée pour cause de dimanche mais on nous propose gentiment de nous emmener voir le maire chez lui.  Notre interlocuteur nous apprend aussi qu’il y a du diesel à Puerto Aguirre où nous serons après-demain.  On décide donc de laisser le maire en paix.  On se ravitaillera à la « bomba » de Puerto Aguirre. 

Traditionnel passage chez nos amis de la gobernacion maritima où on nous demande comme d’habitude le jour et … l’heure de notre arrivée au prochain port.  On passe la nuit devant le village et le lendemain matin, on appareille pour Isla Francisco quelques 35 milles plus loin, mouillage « custom » de Voyou,  à Claude et Margot (un mouillage « custom » est un mouillage non référencé…dans les notes que l’on possède à bord, ce qui est très relatif évidemment).  

Le journal de bord est assez laconique en ce lundi 28 décembre : « crachin - pétole – bourrin ».  On pénètre dans le mouillage de l’île Francisco vers 19 heures, juste à temps pour une petite excursion à terre.  La végétation est encore très dense et nous empêche de pousser très loin nos investigations.  On découvre une source d’eau dans laquelle on viendra faire un peu de lessive demain matin. 

Après la petite lessive, on lève une nouvelle fois l’ancre pour continuer notre descente vers le Sud, par le Canal Perez.  La destination du jour est la baie d’Isla Canal.  Nous y arriverons en milieu d’après midi , accompagné par un bon grain et une chute du baromètre.  Le vent souffle fort ce soir et on rajoute encore quelques mètres de chaîne, histoire de bien résister aux assauts d’Eole. 

Mercredi matin, tout est calme, le soleil brille, le baromètre est bien haut.  Petit déj sans pain ce matin.  Celui de Melinka est épuisé et Pierre a eu la flemme d’en faire hier soir. On se console avec de bonnes crèpes préparées par Robert. 

Un groupe de dauphins vient nous saluer à la sortie du mouillage.  Ils doivent être assez casanier, parce que dans les notes dont nous disposons, l’équipage de Morgane a indiqué que lors de leur passage, il y a deux ans, l’entrée de la baie était gardée par des dauphins.  Les proprios s’étaient donc caché lors de notre arrivée, pour cause de pluie, mais les voilà qui saluent notre départ au soleil.  Une vingtaine de milles nous sépare de notre prochaine escale : Puerto Aguirre. 

Nous avons à traverser un long chenal, orienté nord-sud, qui renforce la petite brise.  Le trajet recommandé, qui coupe le chenal à angle droit pour rejoindre l’itinéraire officiel sous le vent des îles nous laisserait fort peu profiter de cette brise, et nous décidons d’en sortir, en « coupant » vers le sud-est.  La carte ne porte pas de profondeur pour cette zone, sans doute jamais sondée.  Prudents, nous faisons donc de nombreux points, et veillons attentivement.  Mais bientôt un doute nous prend : le cap annoncé par le navigateur ne plaît pas beaucoup au barreur, qui a jeté aussi un coup d’œil sur la carte.  Quelques questions des plus diplomatiques sont échangées, histoire de vérifier que chacun sait encore où est le sud, d’où vient le vent, et surtout, quelle est cette île là, au milieu du jeu de quille.  Robert ne se prive pas de participer à l’embrouille, et pendant un moment, trois capitaines suggèrent chacun leurs cap et option, assez différents bien sûr.  La réconciliation se fait sur le compte de la carte : non seulement elle n’est pas sondée cette zone, mais elle est mal cartographiée.  On nous avait prévenu que toute la cartographie des canaux n’avait pas encore été refaite selon la méthode du système GPS, et que des écarts jusqu'à deux milles pouvaient se présenter avec le point GPS.  Mais là, on a l’impression que l’île en question est tout simplement mal située, même en tenant compte d’un décalage avec notre position GPS.   Ben, y’avait qu’à pas sortir des itinéraires recommandés !  Maintenant, il s’agit de retrouver la passe que l’on voulait emprunter pour rejoindre ce trajet…Et bien entendu, une fois que l’on a mis la carte en doute, la confiance est difficile a rétablir…Mais, remarquable exploit, les z’Ataramiens évitent l’ataramiade, et se retrouvent sains et saufs dans le chenal balisé. 

Quelques milles plus loin, le très joli village de Puerto Aguirre apparaît sur les collines de Isla Las Huichas.  Des maisons colorées forment un patchwork sur les monticules verts. D'innombrables barques de pêcheurs occupent toutes les plages.  Située a l’extrémité sud de l’île, le village est isolé du chenal par la petite Isla Eugenio, qui protège plusieurs petites anses de l’île principal, en faisant autant de mouillages idéaux.  Sur cette petite île se trouve le cimetière de la ville.  On rêve de voir un enterrement, ce doit être fabuleux de voir la suite de barques multicolores s’étirer lentement du village au cimetière dans ce petit chenal encaissé.  Mais heureusement pour nos hôtes, nous n’en verront pas. 

Nous mouillerons d’abord devant la ville pour faire le plein de diesel et de vivres.  On rendra même « service » à la communauté, en échangeant une partie de ce diesel contre de l’essence, actuellement en rupture de stock sur l’île.  Nous, depuis que l’on a plus de moteur hors-bord, elle nous est devenu un peu inutile.  Ensuite, on choisira une petite anse pour passer la nuit tranquille.  En se promenant sur l’île, on profite d’une vue exceptionnelle sur les sommets enneigés des Andes.     

Et le lendemain, vamos pour la Laguna San Raphael.  Prochain village : Puerto Eden, après le Golfe de Penas. 

On croise des dauphins, des lions de mer et des manchots en quittant notre mouillage.  Bien qu’au moteur, la navigation est agréable, sous le soleil, dans un dédale de petite île, et les Andes en arrière plan.    Après quelques zig-zag, nous voilà descendant le long canal Costa avec, miracle, dieu existe, du vent dans le dos.  Pas suffisant pour faire une vitesse décente, mais quand même !  Avec Perkins à mi-régime, et même le courant, on galope à plus de 7 nœuds…On va donc plus loin que ce que l’on imaginait, mais pas tellement, car quand le courant change, nous voilà nous traînant jusqu'à Puerto Bonito, dans la Bahia Eugenia.  Il pleut jusqu’au soir.  Le baro baisse.  Hé, s’avez quoi, on est le 31 !  Anne et Robert n’ont heureusement pas perdu ça de vue ; ils cuisinent depuis le début de la nav, et en sont à fignoler le dessert !  Faut dire que ce soir, on ne fête pas qu’un quelconque changement de date, mais aussi, à minuit, l’anniversaire de Robert !  On se gave donc jusqu’à minuit, ben oui, un peu comme vous tous…Sauf qu’à minuit, on recommence, pour l’anniversaire ! 

Non, gentils lecteurs, on ne vous oublie pas : perdu loin de vous dans les tréfonds de la fin du monde, nous vous souhaitons une très heureuse avant dernière année du xxè siècle ; qu’elle soit faite de bonheurs, sur terre, sur mer, et pourquoi pas, dans les airs.   

Puissiez-vous être des rêveurs diurnes, de ceux qui réalisent leurs rêves, et continuent de rêver, pour s’en faire de nouveaux. 
(tout ca pour vous glisser une petite citation… : 
« All men dream : but not equally.  Those who dream by night in the dusty recesses of their minds wake up in the day to find that it was vanity : but the dreamers of the day are dangerous men, for they may act their dreams with open eyes, to make it possible ». T.E.Lawrence, Seven Pilars of wisdom )