Journées du 6 au 17 février 1999 : Puerto Williams et Ushuaia
 
Nous voilà donc a attendre la bonne volonté des autorités chiliennes, pour aller dire bonjour aux argentins.  Mais on n'est pas seuls !  F'MURR a exactement les mêmes problèmes de dépassement de visa, en plus grave, ils ont dépassés la date de plus d'un mois, ont perdus quelques papiers…Ca nous donne l'occasion de visites communes au juriste de la gobernacion provincial, charmant, mais soumis au bon vouloir des autorités de Punta Arenas.  Les juristes d'Ataram deviennent ses interlocuteurs préférés.  Il semble que les deux bateaux seront sanctionnés par une "admonestation", que contresigneront tous les mauvais petits en infraction, reconnaissant leurs torts, et jurant qu'on ne les y reprendra plus.  Ca nous convient, ca coûte rien ! 

Peut-on avouer où nous passerons le plus de temps  à attendre ? Pas très racontable, a priori, mais on a campé au bar du Micalvi, le "yacht club le plus austral du monde", installé dans l'épave du Micalvi, ancien bateau de transport de l'Armada chilienne, "symbole de la souveraineté chilienne sur la terre de feu" nous informe un panneau d'information.  Le bateau, coulé, constitue le ponton sur lequel les voiliers viennent s'amarrer; sympa !  Outre le cadre, très cosy, tout en bois, avec photos des fabuleux bateaux qui sont passés ici, souvent en route pour l'Antarctique, l'endroit est le lieu de rencontre des voileux et des Puerto Williams'uns. 

C'est là qu'on fera la connaissance de l'équipage de Swan Lake, un Swan (les Swan sont quelques choses comme les Rolls Royce de la mer, si les Rolls étaient des voitures sportives…Disons Bentley ou Buggati alors…) appartenant à Jacques, bruxellois exilé au Brésil depuis de nombreuses années.  Il est là avec des amis, et un équipage franco-brésilien "pour faire le horn".  Pour l'occasion, il a bord des caméraman de Globo, la télé brésilienne.  On se trouve des points communs facilement : Jacques a fait l'ULB à la fin des années 60, en Polytechnique, et a habité dans la même rue qu'Eric ! Petit le monde ?  Petite la Belgique en tout cas, petit Bruxelles… Elisabeth, crew, a abandonné une "carrière" dans le marketing parisien pour voyager autour du monde, de bateau en bateau.  Edo est skipper pro, Luis, vendeur de bateau, a pris des vacances pour voir le sud, et Werner, ex-pdg d'une très grosse boite, s'amuse.  On entamera des parties de poker menteur endiablées, en franco-brésilien.  L'enjeu ?  Notre chocolat belge contre leurs bonnes bouteilles !

C'est bien sûr là aussi que l'on fait connaissance avec les bêtes qui font du charter dans le coin.  On est un peu impressionné par ces mecs qui se font le passage de Drake, qui dispute le titre de mer la plus dure du monde à la mer de Wedell, deux ou trois fois par an, pour aller montrer les manchots du continent blanc à des clients, qui, ceci expliquerait-il cela, paient très très chers pour cela.  Le samedi après-midi voit l'arrivée d'un très beau de ces exemplaires : Balthazar, à Bertrand Dubois, entre dans la marina, arrivant d'Antarctique.  Son équipage, trop longtemps sevré sans doute, envahi le yacht club pour l'apéro.  L'apéro se prolonge, on en arrive au digestif, puis au premier verre de la nuit, suivi de très nombreux autres.   Le skipper est évidemment breton, un pote à lui est venu faire le matelot à bord.  Il vient de…Saint Malo.  Son métier, c'est la mécanique.  Et de qui entretenait-il le moteur ?  Ben d'Ataram évidemment !  On est donc assimilé "pays", bien qu'on doive rappeler plusieurs fois que seul le bateau est susceptible de comprendre le breton, que nous ce serait plutôt le bruxellois, mais bon…  Qu'importe l'idiome, dans toutes les langues, les tournées volent ;  Nounours, ont l'a surnommé comme ca, nous raconte qu'avec Tonton (ca c'est Dubois, le patron, vous suivez ?), ils ont "fait capsize", ce qui veut dire qu'ils ont mis le mat dans l'eau en descendant vers l'Antarctique.  Mais rien de cassé, ces engins sont faits pour ca.  Au milieu de la nuit, c'est sûr, on est en Bretagne, même la musique celtique qui réchauffe l'atomosphère le confirme.  C'est que les tenanciers se sont mis au diapason de leur plus grosse clientèle : les patrons de charters bretons.  Le français est, à cause d'eux, la deuxième langue de Puerto Williams, et le Breton la troisième évidemment.  Mais "la patronne" de Balthazar (Madame Dubois) vient bientôt rappeler à tout le monde que Saint Malo est encore loin : dans l'immédiat, il y a le Beagle à remonter, faut aller mettre les clients à l'avion à Ushuaia.  Après 3 heures c'est trop tard…  Mouvements de foule, l'équipage, fin saoul rejoint le bord, et entame, dans les hurlements, une manœuvre des plus délicate…Réussie bien sûr, sous les gueulantes de Dubois, qui conclut, lucide quand même, "manœuvrez bien, manœuvrez pleins !" avant d'enfiler le Beagle de nuit ! 

Le calme retombe sur la marina, avant que le vent n'y fasse entendre son vacarme : port fermé pour plusieurs jours, nous voilà doublement otages…  On se fait des petites promenades, et mêmes des joggings, admirant les paysages de cette terre du bout du monde, l'île Navarrino, illuminés par une lumière fantastique.   

Lundi, pas de nouvelles de l'administration pour nous… Entretemps, des touristes, arrivés on ne sait trop comment dans ce nulle part, sont venus nous demander si nous pouvions les emmener à Ushuaia.  Pas de problèmes si on est libres !  Mardi, ca se précise, mais il va être trop tard pour partir dans la journée…  Le patron du bar nous demande d'embarquer deux petites chiliennes sans le sou pour la traversée. Ataram bateau autobus…  Mardi après-midi, ca y est, on est libres ! F'Murr est retenu jusqu'à demain, sûrement pour qu'ils soient conscients de la plus grande gravité de leur fautes.  Reste à faire les formalités d'immigration pour les sept équipiers d'Ataram.  Et a fixer l'heure de départ : cinq heures du mat !   

Et qui c'est qui entre dans le Micalvi ce mardi soir ?  Voyou, Claude, Margot et Richard, en direct d'Antarctique !  Et plus question pour nous de retarder notre départ, on a nos passagers !  Petite compensation : longue soirée sur Ataram, pour écouter leurs premiers récits du continent blanc.  Fabuleux évidemment, pour les yeux notamment, qui restent un peu écarquillés…Moins bons pour les nerfs du propriétaire, et pour Voyou : ils ont cassé en un mois un demi à peu près tout ce qu'on a bousillé en un an : enrouleur de génois foutu à l'aller, moteur déplacé et silent-block (les supports sur lesquels est monté le moteur) cassés lorsqu'un bout s'est pris dans l'hélice, GPS en panne et grand voile éclatée au retour, dans le plus gros baston que Claude ait connu…Ce qui veut dire quelque chose quand même…Les charters qui remontait en même temps sont du même avis d'ailleurs : c'était vraiment mauvais… Ca, c'est des trucs à ne pas nous faire regretter d'avoir été là avec Ataram…plus de son âge ces conneries. 

En fin de soirée, nos deux passagères chiliennes arrivent, raccompagnées par la moitié des marins de l'Armada.  C'est qu'elles sont arrivées sur un bateau militaire, et y ont manifestement laissé des traces…Et ils n'ont pas l'air d'avoir envie de quitter leurs petites mascottes, les marins…Ils s'installent, sous les fous rires étouffés des Voyous, qui s'esquivent…  Bon, on est très accueillant à bord, mais là ils abusent.  Très diplomatiquement, sortant les sacs de couchage et baillant, on fini par leur faire comprendre qu'il est grand temps d'aller faire dodo…Et oui, les petites, c'est chez nous qu'elles dorment.   

A cinq heurs du mat, après avoir fait semblant de fermer les yeux une heure, on accueille nos derniers passagers, et zarpamos (nous appareillons).  Annoncant notre départ à la radio, on est interrogé : mais vous êtes combien ?  Ben heu, sept pourquoi ?  Ha, le papier de sortie du bateau (la zarpe) est faite pour vous trois seulement, ca ne va pas, faut revenir !  HAAAAA!!!! Damnation, comment ont-ils su qu'on a pas pris la peine de refaire un nouveau papier en voyant grossir le nombre des passagers d'Ataram ?  Oui, certes le fonctionnaire de l'immigration, mais d'habitude, il ne s'occupe pas de savoir comment s'en vont les gens dont il tamponne les passeports.  Alors ?  Ben alors, évidemment, l'escorte des poulettes, qui voulaient vérifier qu'on était en ordre, sérieux etc, sans doute… Super, reste à faire demi-tour. On va se mettre à couple de Voyou, mort de rire bien qu'on les éveille…Sprint du "capitaine" officiel d'Ataram, petite causette en castillan, et moins d'une demi-heure plus tard, on repart !  Dernier obstacle de la paperasse chilienne vaincu ! 

La remontée du Beagle se fait sans trop de problèmes, si ce n'est deux heures ou le vent est plus fort, de face bien sûr, nous faisant douter d'arriver jamais…Nos passagers, peu habitués a être exposé au froid, pillent nos armoires pour s'emballer dans trois-quatre couches de pulls et polaires…  On fait connaissance avec Michel et Odile, profs à Rouen, éternels back-packers (sac-à-distes, routards quoi), qui ont fait le Chili et l'Argentine en stop, il y a 15 ans.  Ils sont venus voir ce que ca devenait, et saluer des amis.  Quant aux deux chiliennes, de Santiago, elles voyagent pendant leurs grandes vacances d'étudiantes en architecture paysagère.  Elles nous apprendront pas mal de chose sur le climat qui régnait pendant la dictature. Un peu jeune pour l'avoir bien connue, elles sont cependant bien informées :  l'une appartient à une famille de résistant, l'autre à une famille proche du régime.  Ces rencontres de voyages sont toujours riches, si courtes soient-elles.  Et on arrive à Ushuaia en trouvant presque la traversée trop courte. 

Ushuaia, ville la plus australe du monde…Sauf que si Puerto Williams grandit, elle sera détrônée… Plus de magasins vendant des tee-shirts "world's end" à tous les coins de rues, plus de tasses à café "du bout du monde", plus de sets de table "mas austral del mundo".  Que fera alors cette ville désormais presque entièrement consacrée au tourisme, qui a des airs de stations de sports d'hiver géante.  Mais si la ville est quelconque, le cadre est fabuleux : elle se trouve dans une grande baie isolée du canal de Beagle par une succession de petites îles, et est entourée entièrement d'un cirque montagneux impressionnant.  Dans la lumière magique de la terre de feu, ca donne des paysages incroyables !   

Nous allons passer une  semaine ici, moitié à bricoler sur le bateau, moitié a manger de la viande et à boire de la bière argentine avec tous nos potes de F'Murr, de l'Aventure, de Swan Lake, bientôt revenu de son "expédition cap Horn", et bien sûr, avec les Voyous. De plus, pendant qu'on est là, arrivent  les concurrents du Millenium rally qui sont passés par l'Antarctique, avec Jimmy Cornell, l'organisateur. Quelques très beaux bateaux arrivent dont le superbe Futuro, un Swan 65. Bien que nous ne comprenions toujours pas le plaisir ou l'avantage de voyager comme ca en masse, le rally présente l'avantage d'animer les pontons !  Ajoutons à cela les charteristes, ca fait du monde et on est finalement très occupés ! 

Quelques petites fiestas plus tard, nous repartons vers…Puerto Williams.  Ma porque ?  Porque on veut aller au Horn avant de s'en aller.  Et le Horn est chilien. Et pour y aller, il faut une autorisation spéciale, délivrée…à Puerto Williams.