Journées du 27 février au 7 mars 1999 : Falkland Islands
 
A nous les Falklandaises, les grands bretons les plus sud du monde.  Car, c'est dès l'abord incontestable, nous sommes chez les sujets de sa gracieuse majesté.  Cottages cosy au gazon parfaitement entretenu, avenues proprettes, Union Jack claquant au vent sur le sommet de la colline, et, petite nuance avec un quelconque village du Dorset, des land Rover partout partout.  A  ce mimétisme, rien d'étonnant, 99 % des Falklanders sont originaires de Grande Bretagne et la plupart des insulaires peuvent remonter leur arbre généalogique jusqu'à leurs ancêtres arrivés ici au XIXe siècle.  Les "étrangers", sont surtout des originaires de l'île de Saint-Hélène, émigrés économiques venus chercher du travail ici.   

Notre première impression se confirme dès que nous pénètrerons dans les pubs, plus britishs que nature : bière brune, jeux de Dart, snooker, roux hurleurs collectionnant les chopes à la cloche annonçant la dernière tournée avant la fermeture, obligatoire, à 23 heures.  Ici, on paie en pounds, locales ou anglaise.  De toute façon, on retrouve la reine Elisabeth sur les deux types de coupures, mais sur les locales, le pile est occupé par des animaux du coin.  Sympa. 

Nous sommes sur East Falkland, l'île la plus plate.  Hormis les collines qui entourent Port Stanley, et les monts qui occupent le centre de l'île, la plupart du territoire ne s'élève pas plus haut que le mat d'Ataram.  C'est la latifonia.  Une espèce de toundra pelée. 

Nos journées vont être occupées par un peu de bricolage, un peu de visite, et beaucoup de causettes avec nos potes des bateaux; Swan Lake, Golden Fleece, le bateau de Jérôme, qui a comme équipage Celia et Sarah, et une superbe goélette hollandaise, vieux gréement arrivé un peu après nous, dans le soleil couchant, toute voile dehors.   

Seul événement, le lendemain de notre arrivée, le vent d'ouest s'est levé, et il commence à former des vagues dans la baie.  Et bien entendu, dernier arrivé, dernier servi, on est exposé à ces vagues.  Malgré les pare-battages, Ataram commence a taper sur la coque du gros bateau sur lequel nous sommes à couple.  On envisage de partir quand, dans une vague plus forte, un chandelier vole en éclat.  Là, le départ se fait urgent, mais c'est pas évident, le vent plaquant Ataram contre son voisin.  On force un peu, tordant deux- trois tubes d'inox, foulant un poignet, écrasant deux - trois pieds, et nous voilà libre.  Reste à prendre une des énormes bouées mouillées dans la baie.  Le Swan Lake a abîmé son étrave en s'essayant au même exercice le jour de son arrivée.  Nous n'étalons pas la force du vent avec le moteur à son régime de croisière ! Il faut forcer, encore. Pierre se bouche les oreilles pour ne pas entendre Eric massacrer la belle mécanique.  Mais l'équipage ataramien est désormais pas trop mal coordonné, et le coffre est pris sans encombre.  On assure les bouts.  C'est bon.   

Nous voilà au milieu de la baie, dans un beau coup de vent de NO.  Coincés.  Si on va à terre en annexe, à la rame mais aidé par le vent, plus question de revenir face à lui … Et Jacques qui s'en va en avion retrouver ses affaires (son équipage remontera le bateau)…Bon, les z'ataramiens, bien que coordonnés, n'en sont pas pour autant devenus plus malins : on décide d'y aller à l'unanimité évidemment.  On s'équipe de pieds en cape de nos jolis cirés, on gonfle le dinghy, et hop, à l'eau.  Le vent nous pousse vers la côte, très vite.  Nous y voilà, extra-terrestes en Musto dans les rues de Stanley.  On arrive juste à temps pour la goutte d'adieu à Jacques et Werner.  On glisse un mot de notre problème : bloqués à terre, because plus de moteur, volé à Quemchi etc…  Et Jacks, comme l'appellent les Brésiliens du bord, Jacks le magicien a une solution : la solidarité uccloise n'est pas un vain mot : il veut nous donner un moteur !  On refuse, c'est trop.  Bon, qu'a cela ne tienne, il nous fait un prêt longue durée jusqu'à Rio ! OK, ca on est pas en position de refuser ! Jacques, tu nous sauves la vie!  Embrassades, adios, à bientôt à Rio. 

Equipé d'un beau Mercury 5 cv, les Falkland sont à nous, et dans l'immédiat, les allers-retours au bateau, qui fait du rodéo sur sa bouée.  On va renforcer encore les amarres avec une chaîne, tournée autour du mât (au cas ou les taquets s'arracheraient, c'est le mât qui est la fixation la plus solide).  L'esprit tranquille, on va pouvoir errer dans Port Stanley, aller squatter Golden Fleece pour avoir des tuyaux de Poncet sur le trajet qu'il nous conseille pour les quelques jour qu'on a encore ici.  Pas le temps sans doute d'aller voir les west Falkland, plus escarpées, toutes en falaises, en rocs, les plus belles selon lui.  Pas pour rien qu'il habite sur Beaver, la plus ouest des Falklands islands.  Il nous propose donc un petit tour d'East Falkland.  Adopté. Dès que le vent est favorable, et qu'on fini de réparer notre chandelier et autresssss petitesssss bricolesssss, on y va. 

Justement, la réparation du chandelier demande un petit travail de fibre de verre, car il s'est désolidarisé du pont.  Et la fibre, ça n'aime pas l'humidité…Or, il bruine depuis hier, et, semble - t'il, pour encore un moment.  Qu'à cela ne tienne, on travaillera donc "sous tente", en asséchant le tour au pistolet à chaleur.  

Pas très sérieux, mais cela nous permet d'être prêt à larguer les amarres le mercredi 3 mars, quand le vent est favorable.  Direction… De là où on vient : le sud…  Comme souvent dans le coin, la nav n'est pas de tout repos : à prendre un ris, puis deux, relâcher, enrouler…Et veiller aux énormes champs de kelp qui bordent la côte.  On se fera quand même englué dans l'un d'eux : impression surprenante : malgré le vent, le bateau est scotché, les longues feuilles de ces algues géantes nous retiennent.  On se dépêtre lentement, très lentement.  En fin d'après-midi, on rentre dans Shallow harbour, très beau port naturel, protégé de tous les vents (ou plutôt de la mer que lève tous les vents; quant au vent lui-même, la hauteur du relief ne laisse espérer aucune protection).  Sur Lively island, un "settlement", c'est-à-dire un "peuplement" de quelques maisons, la famille propriétaire de l'île, qui y élève des moutons.   

Là, y'a pas âme qui bouge, on va pourtant explorer.  Village fantôme, personne ne répond à nos appels.  Ha si, finalement, la fille du proprio sort de sa cachette.  Elle est là pour garder l'île en l'absence de papa, qui est à l'hôpital, il s'est coupé un doigt en tondant (ou égorgeant ?) un monton..  Il revient avec l'avion des îles demain matin.  Qu'a cela ne tienne, nous reviendrons demain ! 

Le lendemain, on visite d'abord la petite île de Philimore, en face de Lively.  C'est une des propriétés de Jérôme, qui rachète des îles à tour de bras, parce que "c'est joli", et les laisse à l'état naturel, les débarrassant de leurs moutons, qui les pèlent de toute végétation.  Celle-ci n'est donc plus peuplée que d'oies (kelp gooses et upland gooses), qui vivent par couple, lui blanc, elle colorée dans les tons bruns.    

Puis, visite au settlement.  Monsieur et Madame Jaffray sont revenus, le doigt est retapé.   Prise de contact polie, sans plus. On demande l'autorisation de marcher sur l'île.  Accordée.  Ils nous signalent une colonie de manchots Jackass, et nous expliquent qu'ils se rendent bientôt à "l'aéroport" pour le deuxième passage de l'avion, qui vient reprendre la fille, qui repart à Stanley.  Pourquoi cet aller-retour ?  Parce qu'il faut quelqu'un à terre pour la sécurité de l'avion : déployer la manche à air, être prêt à intervenir avec l'extincteur etc…  Et les Jaffray sont seuls sur leur île.  On part à pied, mais devant notre détermination, on est pris en stop par nos hôtes, "crèche" de manchots et aéroport étant dans la même direction.  Ici, au moins, on rentabilise les 4x4, c'est pas comme les frimeurs bruxellois !  Chemins quelque peu indéterminés, puis la plage, un champ de caillou, et rechemin nous mènent à "l'aéroport", champ à peine plus plat que le reste de la colline.  On déploie la manche à air, on attache l'extincteur à la land, et à la minute près, une voix résonne dans la radio : l'avion est en phase d'approche.  Alex lui communique la direction du vent au sol, et il arrive.  Petit coucou rouge qui assure la liaison entre les îles, c'est le bus des fermiers.  Il atterrit partout, vole par presque tout les temps. 

Quand il repart, après avoir tout rangé avec nos hôtes, nous continuons notre promenade vers les manchots. Après une heure, nous arrivons dans cette "pouponnière" où les manchots Jackass creusent dans la terre des terriers dans lesquelles ils vont pondre et couver leur nid.   A notre approche de petits messieurs importants en redingotes plongent dans leur trou.  Nous nous asseyons à distance respectueuse des trous, et bientôt, des petites têtes curieuses réapparaissent.  Quelques minutes encore, et quelques-uns de ces messieurs-dames viennent faire admirer leur costumes, tout en nous jaugeant d'un air méfiant.  Nous ne tenterons pas de nous approcher, ils ont l'air particulièrement timides. 

Nous continuons donc la promenade, croisant de nombreuses oies, et les moutons et vaches de Mr Jaffray.  Quand nous retournons au settlement, mistress Jaffray nous attend pour un tea with cake.  On papote, l'atmosphère est tout à fait cordiale maitenant.  Nous prenons congé pour quelques heures, rendez-vous en fin d'après-midi pour un autre thé… 

Ce soir, on a droit au salon !  Alex nous demande, l'air de rien, si nous mangeons, du mouton.  Bien sûr !  Alors, que dirions-nous d'en en emporter un, entier demain ?  Formidable !  Et a t'on déjà vu tuer et préparer un mouton ?  Heu, non, pas tous.  Il faut voir ca ! Rendez-vous est pris pour le lendemain matin.   

Et après un superbe coucher de soleil, une excellente nuit, on émerge à l'aube pour aller prendre notre leçon de boucherie.  Ames sensibles, passez au paragraphe suivant.  Certes, ce n'est pas ragoûtant, ragoûtant, mais a moins de se faire végétarien, il est plus sain d'accepter de voir mourir l'animal que l'on mangera, n'est-il pas.  En tout cas Alex fait preuve, même avec sa main abîmée, d'une dextérité incroyable.  Ce qui nous paraîtra le plus cruel est le choix de la bête. Ensuite, tout va très vite, le mouton est égorgé, vidé des ses viscères, débarrassé de sa peau, et nettoyé. Il nous reste  à le pendre dans nos haubans ! 

Alex nous expliquera qu'il déteste tuer les bêtes, mais qu'il est fait ("designed for") pour cette vie d'éleveur, qui lui procure tant de plaisirs, alors il en accepte les mauvais cotés. En fait, les éleveurs ne tirent aucun revenu de la viande. Ils commercialisent la laine.  Mais les moutons de plus de six ans ne produisent plus assez de laine pour les laisser profiter de pâturages dont la surface est limitée.  Il faut donc bien les abattre…  La laine des Falkland est, paraît-il, une des meilleures du monde.  Mais les cours de la laine sont en chute libre dans le monde entier, pour diverses raisons : avènement des nouvelles fibres synthétiques, faillites de pays qui étaient de très gros acheteurs, dont l'URSS etc… La vie devient donc difficile pour les petits éleveurs falklandais. Ici comme dans le monde entier, ceux qui s'en sortent sont les très gros éleveurs, dont les élevages comptent des dizaines, voire des centaines de milliers de têtes. 

Une fois de plus, nous resterions bien avec nos hôtes, chez qui nous nous sentons chez nous maintenant, mais notre temps presse, nous voulons encore voir d'autres endroits avant de remonter vers le continent.  Nous prenons donc congé des Jaffray, notre mouton sur l'épaule, et rejoignons Ataram.  Nous quittons le beau mouillage alors que retombent les dernières rafales d'un petit coup de vent de nord-ouest qui a soufflé fort ce matin.   

Nous naviguons vers l'ouest, pour rejoindre le Falkland sound, qui sépare les deux îles principales.  En remontant ce passage vers le nord, nous aurons donc l'occasion de voir les deux îles, si différentes, nous dit-on.  Dans l'immédiat, nous voulons rejoindre une petite baie, bull cove, où se trouve d'autres "crèches" de manchots, et des éléphants de mer.  Bien entendu, le vent refuse vers l'ouest pendan toute la navigation, et nous finissons par croire que l'on arrivera jamais quand, vent et courant dans le nez, nous progressons à 1,5 nœuds vers l'objectif situé encore à 10 milles.  Mais le vent tombe, et nous sortons du courant maudit.  Nous arrivons tout juste avant le coucher du soleil dans  cette superbe petite baie circulaire, fermée sur plus de 270 degrés.  En arrivant, nous apercevons les colonies d'oiseaux sur la plage.  Et toute la nuit, nous entendrons leurs chants et leurs cris.   

Tôt le lendemain, nous partons vers la terre.  Nous rejoignons une importante colonie de manchots gentoo (papou, croyons-nous, mais nous n'avons que des bouquins anglais qui mentionnent donc gentoo pinguins).  Ils sont beaucoup plus nombreux que les Jackass que nous avons observé avant-hier.  Eux ne creusent pas de trous, mais se font des petits nids sur le sol avec des brindilles, qu'ils couvent couché.  A notre approche, toute la colonie recule, comme une vague, laissant juste un distrait qui nous tournait le dos quelques mètres derrière.  Mais dès que nous nous sommes assis, comme la mer, elle revient et réoccupe la même position.  Nous pouvons donc être très près.  En plus, nous constatons qu'ils ont peur de notre taille.  Assis, nous leur inspirons confiance.  Couché, ils se sentent carrément dominateur et nous approchent à moins d'un mètre.  Quels plaisirs de se sentir à peine intrus.  Bien qu'il paraît que ce soit possible, nous ne ferons rien pour essayer de les toucher.   

Après un long moment, nous reprenons notre promenade.  Après avoir croisé des oies, encore, nous arrivons près de la plage de la péninsule.  Là se trouve un troupeau d'éléphant de mer.  Ces énormes bêbêtes en sont à l'heure de la sieste, qui doit constituer d'ailleurs une part non négligeable de leur vie.  Ils sont l'image du bonheur dans le sommeil, de la félicité du ronfleur.  Le moins qu'on puisse dire est qu'il ne sont pas impressionnables !  Tant que nous resterons à bonne distance, ce que nous pensons être prudent, car on a lu que les mâles pouvaient charger, ils daigneront à peine ouvrir les yeux pour la photo.  Espérant un peu d'action à vous monter, nous allons finalement nous approcher un peu plus.  Alors, certains timides vont se réfugier dans l'eau, tandis que les autres nous avertissent de ne plus avancer par un rugissement très clair.  On reste fasciné par ces pachydermes des mers, et seule la faim nous rappelle que nous sommes en route depuis plusieurs heures.  Après un arrêt bateau, destiné à nous nourrir, et a attendre que la lumière soit meilleure pour les image, nous repartons vers l'autre partie de l'île.  Nous y croiserons beaucoup d'oiseaux, et une nouvelle colonie de Jackass, ceux qui se cachent sous terre quand on les chasse. 

Le soir, un vent de nord-nord-ouest se lève timidement.  Dommage, c'est vers là-bas qu'on va demain, et plus bête, c'est vers là qu'est ouvert la baie dans laquelle nous sommes.  A cinq heures du matin, la situation n'est plus très bonne, la houle rentre dans la baie, et le vent monte, tandis que l'ami baro dégringole.  Nous déménageons pour nous mettre à l'abri.  Fanny cove creek n'est qu'à quelques milles de là, mais au vent, et on va mettre deux heures et demi à l'atteindre, sous 3ème ris aidé par le moteur, après que la bosse de second ris ait éclaté.  Le mouillage n'y est pas évident, et on va s'y reprende à trois fois avant de crocher convenablement. Empennelage et 60 mètres de chaînes,  on affronte le coup de vent toute la journée.  En fin d'après-midi, le vent tourne à l'ouest.  Petit pow-pow : on a plus le temps d'arriver dans un port du Sound, d'autant qu'il y a un petit passage plein ouest.  Si on reste la nuit ici, on n'est pas sur du tout d'avoir le vent qu'on veut demain.  Or, il faut qu'on parte dans deux jours grand maximum, pour être à notre rendez-vous du 20 mars à Buenos Aires… 

Le pow pow aboutit à une décision déchirante : on va quitter les falkland en en connaissant pas du tout l'ouest !  Profitant du vent d'ouest, on va revenir sur nos pas, faire le tour de l'ile par l'est, et donc repasser devent Stanley, et filer sur le continent.  La décision prise, on s'accorde un bon gigot de mouton, et on y va. A 20 heures, on lève l'ancre pour 1200 milles.  Adios Falkland, encore un endroit où on va devoir revenir !