A nous les Falklandaises, les grands
bretons les plus sud du monde. Car, c'est dès l'abord incontestable,
nous sommes chez les sujets de sa gracieuse majesté. Cottages
cosy au gazon parfaitement entretenu, avenues proprettes, Union Jack claquant
au vent sur le sommet de la colline, et, petite nuance avec un quelconque
village du Dorset, des land Rover partout partout. A ce mimétisme,
rien d'étonnant, 99 % des Falklanders sont originaires de Grande
Bretagne et la plupart des insulaires peuvent remonter leur arbre généalogique
jusqu'à leurs ancêtres arrivés ici au XIXe siècle.
Les "étrangers", sont surtout des originaires de l'île de
Saint-Hélène, émigrés économiques venus
chercher du travail ici.
Notre première impression se confirme
dès que nous pénètrerons dans les pubs, plus britishs
que nature : bière brune, jeux de Dart, snooker, roux hurleurs collectionnant
les chopes à la cloche annonçant la dernière tournée
avant la fermeture, obligatoire, à 23 heures. Ici, on paie
en pounds, locales ou anglaise. De toute façon, on retrouve
la reine Elisabeth sur les deux types de coupures, mais sur les locales,
le pile est occupé par des animaux du coin. Sympa.
Nous sommes sur East Falkland, l'île
la plus plate. Hormis les collines qui entourent Port Stanley, et
les monts qui occupent le centre de l'île, la plupart du territoire
ne s'élève pas plus haut que le mat d'Ataram. C'est
la latifonia. Une espèce de toundra pelée.
Nos journées vont être occupées
par un peu de bricolage, un peu de visite, et beaucoup de causettes avec
nos potes des bateaux; Swan Lake, Golden
Fleece, le bateau de Jérôme, qui a comme équipage
Celia et Sarah, et une superbe goélette hollandaise, vieux gréement
arrivé un peu après nous, dans le soleil couchant, toute
voile dehors.
Seul événement, le lendemain
de notre arrivée, le vent d'ouest s'est levé, et il commence
à former des vagues dans la baie. Et bien entendu, dernier
arrivé, dernier servi, on est exposé à ces vagues.
Malgré les pare-battages, Ataram commence a taper sur la coque du
gros bateau sur lequel nous sommes à couple. On envisage de
partir quand, dans une vague plus forte, un chandelier vole en éclat.
Là, le départ se fait urgent, mais c'est pas évident,
le vent plaquant Ataram contre son voisin. On force un peu, tordant
deux- trois tubes d'inox, foulant un poignet, écrasant deux - trois
pieds, et nous voilà libre. Reste à prendre une des
énormes bouées mouillées dans la baie. Le Swan
Lake a abîmé son étrave en s'essayant au même
exercice le jour de son arrivée. Nous n'étalons pas
la force du vent avec le moteur à son régime de croisière
! Il faut forcer, encore. Pierre se bouche les oreilles pour ne pas entendre
Eric massacrer la belle mécanique. Mais l'équipage
ataramien est désormais pas trop mal coordonné, et le coffre
est pris sans encombre. On assure les bouts. C'est bon.
Nous voilà au milieu de la baie, dans
un beau coup de vent de NO. Coincés. Si on va à
terre en annexe, à la rame mais aidé par le vent, plus question
de revenir face à lui … Et Jacques qui s'en va en avion retrouver
ses affaires (son équipage remontera le bateau)…Bon, les z'ataramiens,
bien que coordonnés, n'en sont pas pour autant devenus plus malins
: on décide d'y aller à l'unanimité évidemment.
On s'équipe de pieds en cape de nos jolis cirés, on gonfle
le dinghy, et hop, à l'eau. Le vent nous pousse vers la côte,
très vite. Nous y voilà, extra-terrestes en Musto dans
les rues de Stanley. On arrive juste à temps pour la goutte
d'adieu à Jacques et Werner. On glisse un mot de notre problème
: bloqués à terre, because plus de moteur, volé à
Quemchi etc… Et Jacks, comme l'appellent les Brésiliens du
bord, Jacks le magicien a une solution : la solidarité uccloise
n'est pas un vain mot : il veut nous donner un moteur ! On refuse,
c'est trop. Bon, qu'a cela ne tienne, il nous fait un prêt
longue durée jusqu'à Rio ! OK, ca on est pas en position
de refuser ! Jacques, tu nous sauves la vie! Embrassades, adios,
à bientôt à Rio.
Equipé d'un beau Mercury 5 cv, les
Falkland sont à nous, et dans l'immédiat, les allers-retours
au bateau, qui fait du rodéo sur sa bouée. On va renforcer
encore les amarres avec une chaîne, tournée autour du mât
(au cas ou les taquets s'arracheraient, c'est le mât qui est la fixation
la plus solide). L'esprit tranquille, on va pouvoir errer dans Port
Stanley, aller squatter Golden Fleece pour avoir des tuyaux de Poncet sur
le trajet qu'il nous conseille pour les quelques jour qu'on a encore ici.
Pas le temps sans doute d'aller voir les west Falkland, plus escarpées,
toutes en falaises, en rocs, les plus belles selon lui. Pas pour
rien qu'il habite sur Beaver, la plus ouest des Falklands islands.
Il nous propose donc un petit tour d'East Falkland. Adopté.
Dès que le vent est favorable, et qu'on fini de réparer notre
chandelier et autresssss petitesssss bricolesssss, on y va.
Justement, la réparation du chandelier
demande un petit travail de fibre de verre, car il s'est désolidarisé
du pont. Et la fibre, ça n'aime pas l'humidité…Or,
il bruine depuis hier, et, semble - t'il, pour encore un moment.
Qu'à cela ne tienne, on travaillera donc "sous tente", en asséchant
le tour au pistolet à chaleur.
Pas très sérieux, mais cela
nous permet d'être prêt à larguer
les amarres le mercredi 3 mars, quand le vent est favorable.
Direction… De là où on vient : le sud… Comme souvent
dans le coin, la nav n'est pas de tout repos : à prendre un ris,
puis deux, relâcher, enrouler…Et veiller aux énormes champs
de kelp qui bordent la côte. On se fera quand même englué
dans l'un d'eux : impression surprenante : malgré le vent, le bateau
est scotché, les longues feuilles de ces algues géantes nous
retiennent. On se dépêtre lentement, très lentement.
En fin d'après-midi, on rentre dans Shallow harbour, très
beau port naturel, protégé de tous les vents (ou plutôt
de la mer que lève tous les vents; quant au vent lui-même,
la hauteur du relief ne laisse espérer aucune protection).
Sur Lively island, un "settlement", c'est-à-dire un "peuplement"
de quelques maisons, la famille propriétaire de l'île, qui
y élève des moutons.
Là, y'a pas âme qui bouge, on
va pourtant explorer. Village fantôme, personne ne répond
à nos appels. Ha si, finalement, la fille du proprio sort
de sa cachette. Elle est là pour garder l'île en l'absence
de papa, qui est à l'hôpital, il s'est coupé un doigt
en tondant (ou égorgeant ?) un monton.. Il revient avec l'avion
des îles demain matin. Qu'a cela ne tienne, nous reviendrons
demain !
Le lendemain, on visite d'abord la petite
île de Philimore, en face de Lively. C'est une des propriétés
de Jérôme, qui rachète des îles à tour
de bras, parce que "c'est joli", et les laisse à l'état naturel,
les débarrassant de leurs moutons, qui les pèlent de toute
végétation. Celle-ci n'est donc plus peuplée
que d'oies (kelp gooses et upland
gooses), qui vivent par couple, lui blanc, elle colorée dans
les tons bruns.
Puis, visite au settlement. Monsieur
et Madame Jaffray sont revenus, le doigt est retapé.
Prise de contact polie, sans plus. On demande l'autorisation de marcher
sur l'île. Accordée. Ils nous signalent une colonie
de manchots Jackass, et nous expliquent qu'ils se rendent bientôt
à "l'aéroport" pour le deuxième passage de l'avion,
qui vient reprendre la fille, qui repart à Stanley. Pourquoi
cet aller-retour ? Parce qu'il faut quelqu'un à terre pour
la sécurité de l'avion : déployer la manche à
air, être prêt à intervenir avec l'extincteur etc…
Et les Jaffray sont seuls sur leur île. On part à pied,
mais devant notre détermination, on est pris en stop par nos hôtes,
"crèche" de manchots et aéroport étant dans la même
direction. Ici, au moins, on rentabilise les 4x4, c'est pas comme
les frimeurs bruxellois ! Chemins quelque peu indéterminés,
puis la plage, un champ de caillou, et rechemin nous mènent à
"l'aéroport", champ à peine plus plat que le reste de la
colline. On déploie la manche à air, on attache l'extincteur
à la land, et à la minute près, une voix résonne
dans la radio : l'avion est en phase d'approche. Alex lui communique
la direction du vent au sol, et il arrive. Petit coucou rouge qui
assure la liaison entre les îles, c'est le bus des fermiers.
Il atterrit partout, vole par presque tout les temps.
Quand il repart, après avoir tout
rangé avec nos hôtes, nous continuons notre promenade vers
les manchots. Après une heure, nous arrivons dans cette "pouponnière"
où les manchots Jackass creusent dans la terre des terriers dans
lesquelles ils vont pondre et couver leur nid. A notre approche
de petits messieurs importants
en redingotes plongent dans leur trou. Nous nous asseyons à
distance respectueuse des trous, et bientôt, des
petites têtes curieuses réapparaissent. Quelques
minutes encore, et quelques-uns de ces messieurs-dames viennent faire admirer
leur costumes, tout en nous jaugeant d'un air méfiant.
Nous ne tenterons pas de nous approcher, ils ont l'air particulièrement
timides.
Nous continuons donc la promenade, croisant
de nombreuses oies, et les moutons et vaches de Mr Jaffray. Quand
nous retournons au settlement, mistress Jaffray nous attend pour un tea
with cake. On papote, l'atmosphère est tout à fait
cordiale maitenant. Nous prenons congé pour quelques heures,
rendez-vous en fin d'après-midi pour un autre thé…
Ce soir, on a droit au salon ! Alex
nous demande, l'air de rien, si nous mangeons, du mouton. Bien sûr
! Alors, que dirions-nous d'en en emporter un, entier demain ?
Formidable ! Et a t'on déjà vu tuer et préparer
un mouton ? Heu, non, pas tous. Il faut voir ca ! Rendez-vous
est pris pour le lendemain matin.
Et après un superbe coucher de soleil,
une excellente nuit, on émerge à l'aube pour aller prendre
notre leçon de boucherie. Ames sensibles, passez au paragraphe
suivant. Certes, ce n'est pas ragoûtant, ragoûtant, mais
a moins de se faire végétarien, il est plus sain d'accepter
de voir mourir l'animal que l'on mangera, n'est-il pas. En tout cas
Alex fait preuve, même avec sa main abîmée, d'une dextérité
incroyable. Ce qui nous paraîtra le plus cruel est le choix
de la bête. Ensuite, tout va très vite, le mouton est égorgé,
vidé des ses viscères, débarrassé de sa peau,
et nettoyé. Il nous reste à le pendre dans nos haubans
!
Alex nous expliquera qu'il déteste
tuer les bêtes, mais qu'il est fait ("designed for") pour cette vie
d'éleveur, qui lui procure tant de plaisirs, alors il en accepte
les mauvais cotés. En fait, les éleveurs ne tirent aucun
revenu de la viande. Ils commercialisent la laine. Mais les moutons
de plus de six ans ne produisent plus assez de laine pour les laisser profiter
de pâturages dont la surface est limitée. Il faut donc
bien les abattre… La laine des Falkland est, paraît-il, une
des meilleures du monde. Mais les cours de la laine sont en chute
libre dans le monde entier, pour diverses raisons : avènement des
nouvelles fibres synthétiques, faillites de pays qui étaient
de très gros acheteurs, dont l'URSS etc… La vie devient donc difficile
pour les petits éleveurs falklandais. Ici comme dans le monde entier,
ceux qui s'en sortent sont les très gros éleveurs, dont les
élevages comptent des dizaines, voire des centaines de milliers
de têtes.
Une fois de plus, nous resterions bien avec
nos hôtes, chez qui nous nous sentons chez nous maintenant, mais
notre temps presse, nous voulons encore voir d'autres endroits avant de
remonter vers le continent. Nous prenons donc congé des Jaffray,
notre mouton sur l'épaule, et rejoignons Ataram. Nous quittons
le beau mouillage alors que retombent les dernières rafales d'un
petit coup de vent de nord-ouest qui a soufflé fort ce matin.
Nous naviguons vers l'ouest, pour rejoindre
le Falkland sound, qui sépare les deux îles principales.
En remontant ce passage vers le nord, nous aurons donc l'occasion de voir
les deux îles, si différentes, nous dit-on. Dans l'immédiat,
nous voulons rejoindre une petite baie, bull cove, où se trouve
d'autres "crèches" de manchots, et des éléphants de
mer. Bien entendu, le vent refuse vers l'ouest pendan toute la navigation,
et nous finissons par croire que l'on arrivera jamais quand, vent et courant
dans le nez, nous progressons à 1,5 nœuds vers l'objectif situé
encore à 10 milles. Mais le vent tombe, et nous sortons du
courant maudit. Nous arrivons tout juste avant le coucher du soleil
dans cette superbe petite baie circulaire, fermée sur plus
de 270 degrés. En arrivant, nous apercevons les colonies d'oiseaux
sur la plage. Et toute la nuit, nous entendrons leurs chants et leurs
cris.
Tôt le lendemain, nous partons vers
la terre. Nous rejoignons une importante colonie
de manchots gentoo (papou, croyons-nous, mais nous n'avons que des
bouquins anglais qui mentionnent donc gentoo pinguins). Ils sont
beaucoup plus nombreux que les Jackass que nous avons observé avant-hier.
Eux ne creusent pas de trous, mais
se font des petits nids sur le sol avec des brindilles, qu'ils couvent
couché. A notre approche, toute
la colonie recule, comme une vague, laissant juste un distrait qui
nous tournait le dos quelques mètres derrière. Mais
dès que nous nous sommes assis, comme la mer, elle revient et réoccupe
la même position. Nous pouvons donc être très
près. En plus, nous constatons qu'ils ont peur de notre taille.
Assis, nous leur inspirons confiance.
Couché, ils se sentent carrément dominateur et nous approchent
à moins d'un mètre. Quels plaisirs de se sentir à
peine intrus. Bien qu'il paraît que ce soit possible, nous
ne ferons rien pour essayer de les toucher.
Après un long moment, nous reprenons
notre promenade. Après avoir croisé des oies, encore,
nous arrivons près de la plage de la péninsule. Là
se trouve un troupeau d'éléphant de mer. Ces énormes
bêbêtes en sont à l'heure de la sieste, qui doit constituer
d'ailleurs une part non négligeable de leur vie. Ils sont
l'image du bonheur dans le sommeil, de la félicité du ronfleur.
Le moins qu'on puisse dire est qu'il ne sont pas impressionnables !
Tant que nous resterons à bonne distance, ce que nous pensons être
prudent, car on a lu que les mâles pouvaient charger, ils daigneront à
peine ouvrir les yeux pour la photo. Espérant un peu d'action
à vous monter, nous allons finalement nous approcher un peu plus.
Alors, certains timides vont
se réfugier dans l'eau, tandis que les autres nous avertissent
de ne plus avancer par un rugissement très clair. On reste
fasciné par ces pachydermes des mers, et seule la faim nous rappelle
que nous sommes en route depuis plusieurs heures. Après un
arrêt bateau, destiné à nous nourrir, et a attendre
que la lumière soit meilleure pour les image, nous repartons vers l'autre
partie de l'île. Nous y croiserons beaucoup
d'oiseaux, et une nouvelle colonie de Jackass,
ceux qui se cachent sous terre quand on les chasse.
Le soir, un vent de nord-nord-ouest se lève
timidement. Dommage, c'est vers là-bas qu'on va demain, et
plus bête, c'est vers là qu'est ouvert la baie dans laquelle
nous sommes. A cinq heures du matin, la situation n'est plus très
bonne, la houle rentre dans la baie, et le vent monte, tandis que l'ami
baro dégringole. Nous déménageons pour nous
mettre à l'abri. Fanny cove creek n'est qu'à quelques
milles de là, mais au vent, et on va mettre deux heures et demi
à l'atteindre, sous 3ème ris aidé par le moteur, après
que la bosse de second ris ait éclaté. Le mouillage
n'y est pas évident, et on va s'y reprende à trois fois avant
de crocher convenablement. Empennelage et 60 mètres de chaînes,
on affronte le coup de vent toute la journée. En fin d'après-midi,
le vent tourne à l'ouest. Petit pow-pow : on a plus le temps
d'arriver dans un port du Sound, d'autant qu'il y a un petit passage plein
ouest. Si on reste la nuit ici, on n'est pas sur du tout d'avoir
le vent qu'on veut demain. Or, il faut qu'on parte dans deux jours
grand maximum, pour être à notre rendez-vous du 20 mars à
Buenos Aires…
Le pow pow aboutit à une décision
déchirante : on va quitter les falkland en en connaissant pas du
tout l'ouest ! Profitant du vent d'ouest, on va revenir sur nos pas,
faire le tour de l'ile par l'est, et donc repasser devent Stanley, et filer
sur le continent. La décision prise, on s'accorde un bon gigot
de mouton, et on y va. A 20 heures, on lève l'ancre pour 1200 milles.
Adios Falkland, encore un endroit où on va devoir revenir !