Comme nous sommes partis de nuit
pour profiter d'un vent d'ouest, celui-ci ne va pas tarder à s'essouffler.
A 3 heures du matin, on lance le bourrin, et pas pour le plaisir de la
rime… On continue notre petit tour de la côte sud-est, que
l'on commence à connaître, ca fait trois fois qu'on passe
!
A 10 heures du matin, on est devant Port
Stanley, envahi par de gros chalutiers, apparemment contrôlé
par la "fisheries patrol", qui viendra tourner autour de nous aussi… pourtant,
on ne tire plus de lignes depuis une éternité. On a
pu couper Perkins pour le passage de notre "ligne de départ" officielle,
on est au près, tout dessus. La journée et la nuit
suivante, le vent est très irrégulier en direction et en
intensité. On doit avoir recours plusieurs fois au moteur,
et on se met à calculer combien de fuel il nous reste, combien de
milles on peut faire… Bien entendu, on n'a pas fait de plein aux Falkland,
estimant avoir peu consommé depuis Ushuaia, et pensant faire un
trajet bien venté. Ca fait bien rire Claude, qu'on a à
la Blu, et qui arrive aux Falkland… Oui, il est dit que nous ferons le
tour du monde à deux ou trois semaines d'intervalles… Il scrute
ses weatherfax à la recherche d'un souffle pour nous, et nous avoue
ne pas trouver même un isobare là où on se trouve…
On transfère le fuel de nos bidons de réserve dans le réservoir
principal, allez savoir pourquoi… Et on commence à entendre des
plaintes sur Ataram, quant à l'ingratitude d'Eole depuis que l'on
est dans l'Atlantique sud… Pétole ou près, tel a été
notre lot…
Ah, il ne faut jamais se plaindre du manque
de vent… Mercredi 10 mars à 3 heures, il s'ébroue.
Passant entre les isobares qui n'existent pas, il monte, monte, monte,
venant du sud-ouest. A 13 heures, on a pris deux ris, et le génois
est tout petit petit, et on barre "à la vague". A 16 heures,
au moment de changer la voile d'avant, on réalise que la trinquette
sera bientôt trop grande… On installe donc, pour la première
fois, le tourmentin. Petit, tout petit, c'est tout petit un tourmentin
! Pourtant, c'est bien suffisant. Le GPS ne descend plus sous les
9 nœuds, et notre loch, notoirement pessimiste car déréglé,
enregistre son record absolu dans un surf de Piet : 8,7 nœuds (il faut
d'habitude un peu moins que doubler la valeur indiquée pour avoir
la vitesse réelle…). On installe le 3ème ris.
Voilà, Ataram a sa toile minimum. Après, ça commencera
a ne plus etre tout à fait de la navigation, pour devenir de la
fuite… C'est vers 20 heures que le vent atteindra sa force maximale.
On a toujours pas d'anémo, mais il y a plus de vent qu'on en a jamais
eu en pleine mer, ca c'est sûr. Ca doit vouloir dire 50 nœuds,
plus que probablement. Inutile de vouloir dire plus, c'est bien assez,
pourtant pendant une heure, sans doute a t'on dépassé la
force 10. L'estimation est confirmée par Claude en radio, qui, bien
qu'à 250 milles de là, subi le même coup de vent, alors
qu'il entre dans Port Stanley. Son anémo enregistre 50 nœuds,
et il est protégé par l'île…
On est toujours au cap, gagnant des milles.
Il faut être très concentré à la barre, pour
ne pas se faire embarquer au travers dans les vagues qui déferlent.
Comme le vent ne souffle pas depuis très longtemps, elles ne sont
pas encore aussi hautes que les monstres que l'on rencontre dans les récits
de tempêtes dans le coin, mais elles ont beaucoup de force, et on
peut commencer à comprendre comment la mer détruit des bateaux
en quelques secondes… Pierre et moi nous relayons à la barre toute
les deux heures, depuis 12 heures. La fatigue commence à se
faire sentir, d'autant que les deux autres heures ne se passent pas qu'à
dormir : il faut pomper, se nourrir et autres petits choses, qui dans l'environnement
actuel représentent tout à coup une difficulté inattendue…
On songe à prendre la cape, mais on ne peut s'empêcher de
penser à tous les milles utiles perdus que cela impliquerait… On
grignote donc sur le sommeil.
Au petit matin, Philippe, peut remettre de
la toile. Sous deux ris, génois enroulé, on voit alors
le vent repasser lentement au nord-ouest, au prés. Pas précisément
le repos que l'on espérait… Ca tape, ça tape.
Mais la vie a ses bons côtés : il fait chaud maintenant :
plus besoin de sac de couchage et de couette, plus de polaire sous
les cirés (ah, oui, les cirés restent conseillés vu
les tonnes d'eau qui s'écrasent encore sur le pont). Après
ces changements de vent multiple, la mer ne sait plus très bien
dans quel sens elle doit aller, il y a un peu de désordre sur l'océan.
Parfois on surfe une déferlante venue de l'arrière, parfois
on rentre dans un mur d'eau…
Le vent prend son week-end : le vendredi
soir, soufflerie sur off, plus rien. Puis l'alternance moteur - près
va recommencer, avec heureusement pour notre réservoir, plus de
près que de bourrin. Pour nous offrir un peu d'occupation,
Gilles le pilote tombe en panne en pleine nuit. Cette fois, ce n'est
plus électronique, c'est purement mécanique : des engrenages
se bloquent dans le vérin qui a prise sur le secteur de barre.
Philippe démonte tout, et bien que perplexe, il arrive a refaire
fonctionner le vérin, en tripatouillant et en lubrifiant partout.
Chouette, on avait pas envie de barrer 500 milles.
La panne recommencera trois fois jusqu'à
Buenos Aires, et Marc-Quentin (le régulateur d'allure) accomplira
très bien son travail de secouriste, tant qu'il y aura du vent bien
sûr…
Avec la chaleur, nous redécouvrons
aussi les orages : nous traversons un feu d'artifice en passant devant
Mar del Plata. La remontée du Rio de la Plata va être
très mauvaise pour les nerfs : vent tout le temps contraire, courants
peu coopératifs… On se traîne… On voit s'envoler nos projets
de soirée Mac-Do - ciné (oui, on a des plaisirs simples)
du lundi soir, puis du mardi soir...
Finalement, nous mouillons le mardi soir
à une dizaine de milles de l'accès au port. Le lendemain,
on se paume un peu entre les deux chenaux d'accès, et c'est après
une visite aux eaux crasseuses du vieux port, que l'on trouve finalement
l'accès aux marinas du centre ville. Car il y en a deux, la
toute nouvelle marina installée dans les bassins désaffectés
du Puerto Madero, zone portuaire en plein renouveau, et la marina du Yate
Club Argentino, vénérable institution de plus de 150 ans.
En passant devant la jettée du YAC d'un air hésitant nous
nous faisons hèler, et on nous indique l'entrée. On
est acceuilli dans la plus pure tradition du yachting : en tant que yacht
étranger, nous bénéficions d'une semaine gratuite,
toutes les facilités accordées aux membres nous sont accessibles...
On pouvait difficilement mieux tomber ! Vive Buenos Aires !