Journées du 8 au 17 mars 1999 : vers Buenos Aires
 
Comme nous sommes partis de nuit pour profiter d'un vent d'ouest, celui-ci ne va pas tarder à s'essouffler. A 3 heures du matin, on lance le bourrin, et pas pour le plaisir de la rime…  On continue notre petit tour de la côte sud-est, que l'on commence à connaître, ca fait trois fois qu'on passe ! 

A 10 heures du matin, on est devant Port Stanley, envahi par de gros chalutiers, apparemment contrôlé par la "fisheries patrol", qui viendra tourner autour de nous aussi… pourtant, on ne tire plus de lignes depuis une éternité.  On a pu couper Perkins pour le passage de notre "ligne de départ" officielle, on est au près, tout dessus.  La journée et la nuit suivante, le vent est très irrégulier en direction et en intensité.  On doit avoir recours plusieurs fois au moteur, et on se met à calculer combien de fuel il nous reste, combien de milles on peut faire… Bien entendu, on n'a pas fait de plein aux Falkland, estimant avoir peu consommé depuis Ushuaia, et pensant faire un trajet bien venté.  Ca fait bien rire Claude, qu'on a à la Blu, et qui arrive aux Falkland… Oui, il est dit que nous ferons le tour du monde à deux ou trois semaines d'intervalles… Il scrute ses weatherfax à la recherche d'un souffle pour nous, et nous avoue ne pas trouver même un isobare là où on se trouve… On transfère le fuel de nos bidons de réserve dans le réservoir principal, allez savoir pourquoi… Et on commence à entendre des plaintes sur Ataram, quant à l'ingratitude d'Eole depuis que l'on est dans l'Atlantique sud… Pétole ou près, tel a été notre lot… 

Ah, il ne faut jamais se plaindre du manque de vent… Mercredi 10 mars à 3 heures, il s'ébroue.  Passant entre les isobares qui n'existent pas, il monte, monte, monte, venant du sud-ouest.  A 13 heures, on a pris deux ris, et le génois est tout petit petit, et on barre "à la vague".  A 16 heures, au  moment de changer la voile d'avant, on réalise que la trinquette sera bientôt trop grande… On installe donc, pour la première fois, le tourmentin.  Petit, tout petit, c'est tout petit un tourmentin ! Pourtant, c'est bien suffisant.  Le GPS ne descend plus sous les 9 nœuds, et notre loch, notoirement pessimiste car déréglé, enregistre son record absolu dans un surf de Piet : 8,7 nœuds (il faut d'habitude un peu moins que doubler la valeur indiquée pour avoir la vitesse réelle…).  On installe le 3ème ris.  Voilà, Ataram a sa toile minimum. Après, ça commencera a ne plus etre tout à fait de la navigation, pour devenir de la fuite…  C'est vers 20 heures que le vent atteindra sa force maximale.  On a toujours pas d'anémo, mais il y a plus de vent qu'on en a jamais eu en pleine mer, ca c'est sûr.  Ca doit vouloir dire 50 nœuds, plus que probablement. Inutile de vouloir dire plus, c'est bien assez, pourtant pendant une heure, sans doute a t'on dépassé la force 10. L'estimation est confirmée par Claude en radio, qui, bien qu'à 250 milles de là, subi le même coup de vent, alors qu'il entre dans Port Stanley.  Son anémo enregistre 50 nœuds, et il est protégé par l'île… 

On est toujours au cap, gagnant des milles.  Il faut être très concentré à la barre, pour ne pas se faire embarquer au travers dans les vagues qui déferlent.  Comme le vent ne souffle pas depuis très longtemps, elles ne sont pas encore aussi hautes que les monstres que l'on rencontre dans les récits de tempêtes dans le coin, mais elles ont beaucoup de force, et on peut commencer à comprendre comment la mer détruit des bateaux en quelques secondes… Pierre et moi nous relayons à la barre toute les deux heures, depuis 12 heures.  La fatigue commence à se faire sentir, d'autant que les deux autres heures ne se passent pas qu'à dormir : il faut pomper, se nourrir et autres petits choses, qui dans l'environnement actuel représentent tout à coup une difficulté inattendue… On songe à prendre la cape, mais on ne peut s'empêcher de penser à tous les milles utiles perdus que cela impliquerait… On grignote donc sur le sommeil. 

Au petit matin, Philippe, peut remettre de la toile.  Sous deux ris, génois enroulé, on voit alors le vent repasser lentement au nord-ouest, au prés.  Pas précisément le repos que l'on espérait…  Ca tape, ça tape.  Mais la vie a ses bons côtés : il fait chaud maintenant : plus besoin  de sac de couchage et de couette, plus de polaire sous les cirés (ah, oui, les cirés restent conseillés vu les tonnes d'eau qui s'écrasent encore sur le pont).  Après ces changements de vent multiple, la mer ne sait plus très bien dans quel sens elle doit aller, il y a un peu de désordre sur l'océan.  Parfois on surfe une déferlante venue de l'arrière, parfois on rentre dans un mur d'eau… 

Le vent prend son week-end : le vendredi soir, soufflerie sur off, plus rien.  Puis l'alternance moteur - près va recommencer, avec heureusement pour notre réservoir, plus de près que de bourrin.  Pour nous offrir un peu d'occupation, Gilles le pilote tombe en panne en pleine nuit.  Cette fois, ce n'est plus électronique, c'est purement mécanique : des engrenages se bloquent dans le vérin qui a prise sur le secteur de barre.  Philippe démonte tout, et bien que perplexe, il arrive a refaire fonctionner le vérin, en tripatouillant et en lubrifiant partout.  Chouette, on avait pas envie de barrer 500 milles. 

La panne recommencera trois fois jusqu'à Buenos Aires, et Marc-Quentin (le régulateur d'allure) accomplira très bien son travail de secouriste, tant qu'il y aura du vent bien sûr… 

Avec la chaleur, nous redécouvrons aussi les orages : nous traversons un feu d'artifice en passant devant Mar del Plata.  La remontée du Rio de la Plata va être très mauvaise pour les nerfs : vent tout le temps contraire, courants peu coopératifs… On se traîne… On voit s'envoler nos projets de soirée Mac-Do - ciné (oui, on a des plaisirs simples) du lundi soir, puis du mardi soir... 

Finalement, nous mouillons le mardi soir à une dizaine de milles de l'accès au port.  Le lendemain, on se paume un peu entre les deux chenaux d'accès, et c'est après une visite aux eaux crasseuses du vieux port, que l'on trouve finalement l'accès aux marinas du centre ville.  Car il y en a deux, la toute nouvelle marina installée dans les bassins désaffectés du Puerto Madero, zone portuaire en plein renouveau, et la marina du Yate Club Argentino, vénérable institution de plus de 150 ans.  En passant devant la jettée du YAC d'un air hésitant nous nous faisons hèler, et on nous indique l'entrée.  On est acceuilli dans la plus pure tradition du yachting : en tant que yacht étranger, nous bénéficions d'une semaine gratuite, toutes les facilités accordées aux membres nous sont accessibles...  On pouvait difficilement mieux tomber !  Vive Buenos Aires !