On n'est pas
sur la plage ! Notre affourchage a tenu ! Mais malgré une
remontée du baro, le vent du nord n’a pas fini de se défouler.
On va attendre un peu…
Notre but : remonter
jusqu’à Puerto Chacabuco, déposer Anne et Robert, qui n’avaient
pas prévu que l’aller-retour à la lagune serait aussi long,
et qui n’ont plus le temps de nous accompagner plus bas. D’autant
qu’on ne sait pas combien de temps il nous faudra attendre des conditions
favorables pour passer le Golfe de Penas.
On va mettre deux jours
pour aller jusque là, s’offrant une nuit dans un mouillage «
custom » dans une jolie rivière, non sondée sur les
cartes, et dont le fond s’avère être de la roche, sur laquelle
bien sûr notre ancre ne croche pas. Après s’être
autant détruit le dos en une heure qu’en une demi-saison de rugby,
on se décide à mettre deux ancres, beaucoup de chaîne
pour faire du poids, instaurer des quarts de mouillage, et demander à
Eole d’être clément. Il le sera.
Le lendemain, on est
à Puerto Chacabuco. Ce très petit village est
le port de Puerto Aysen, qui se trouve en amont sur le Rio qui s’est ensablé,
privant la ville de communication maritime. Ce n’est donc pas très
très vivant…C’est pourtant un port de commerce, et un port de tourisme,
puisque c’est le départ des excursions pour la laguna San Raphaël,
et une escale du « Navimag », le bateau qui parcours les canaux
de Puerto Montt à Puerto Natales. C’est aussi, bien sûr,
comme le moindre village du coin, un port de pêche. Mais pas un port
de yacht ! Rien n’est prévu pour nous, et on s’amarre à
couple d’un gros chalutier, qui nous donnera gentiment de l’eau potable.
Mais on apprendra qu’un voilier nous a précédé, de
trois jours seulement : Plum, Swan de 65 pieds (les Swan sont la Rolls
des voiliers, même construction et finition parfaites, même
ordre de prix…), italien.
Le fuel fait, amarré
à une barge des travaux publics, nous accompagnons nos équipiers
sur le départ à Aysen, histoire de voir un peu d’animation…De
ce coté là, c’est raté…Ce n’est plus un village de
pêcheur, mais ça n’est pas encore la ville…On essuie deux
échecs successifs, l’un en tentant de prendre une douche chaude
dans un hôtel (en payant et tout…) : le chauffe-eau est en panne
; l’autre en tentant d’aller au resto : il ferme au moment même où
l’on pensait y aller, c’est le seul de la ville…Bah, il nous reste à
faire nos courses, et à nous réfugier dans un café
qui sert de mauvais hot-dogs mais de bonnes bières (l’ « Austral
», la bière brassée au plus sud du monde).
Le lendemain à
l’aube, matelots Piet et Riquet larguent les amarres avec la ferme envie
de faire de la route : le baro est haut, très haut, il faut en profiter
pour arriver à Penas le plus vite possible. On est le 9 janvier,
on a rendez-vous avec le Phil à Puerto Eden le 15, si du moins il
trouve une place de bateau, ce qui n’a pas l’air sûr (Puerto Eden
est un bled en plein milieu des canaux, on ne s’y rend que par le Navimag.
Pourquoi avoir choisi ce lieu de rendez-vous ? Bof, c’est un peu
une Ataramiade, un peu les circonstances : sinon, c’était six jours
plus tôt à Chacabuco, et abandonner Pat trop tôt, ou
dix plus tard à Punta Arenas, seul).
Donc, on fonce, le
mord au dent, par un temps superbe : ciel tout bleu, grand soleil. Ataram
fait bateau séchoir, tout est à l’extérieur :
vêtements, couettes, essuies, serviettes, coussins, oreillers…ça
surprend quelques pêcheurs que l’on croise...
Les paysages, que l’on
a déjà parcouru, sont complètement différent
sous ce soleil. On voit à 40 milles. En repassant devant le
canal qui mène à laguna, on aperçoit le glacier
qui vient y vêler. Et dire que l’on a jamais vu a plus de 3-4
milles pendant dix jours…A l’est, les
sommets enneigés des Andes brillent
derrière les monts couverts de végétation.
On voit pour la première fois tous les plans différents de
collines qui s’échelonnent dans le lointain. Parfois, on en
compte huit ou neuf. Quelques petits cumulus blancs viennent parsemer
le bleu profond du ciel. Une bonne brise de sud-ouest nous permet
de faire un prés bon plein agréable. C’est bon aussi
le beau temps !
On va faire plus de
55 milles sur la journée, et aller se mouiller dans un
superbe petit mouillage découvert par les copains de «
Morgane » (que l’on a rencontré à Tahiti, qui ont fait
les canaux à la voile pure sur un voilier de moins de dix mètres).
Petite anse circulaire, avec accès par un chenal étroit.
On met un bout à terre, pour empêcher Ataram de bouger ; il
n’aurait pas la place. Voyou est aussi passé par ici, il y
a maintenant plus d’un mois, et nous a fait un jeu de piste. La piste
débute à un pieux sur lequel est fichée une canette
de Hinano, la bière de Tahiti, à la vahiné.
Elle mène à la plus haute colline du coin, en passant par
une véritable jungle tapissée de mousse dans laquelle on
s’enfonce parfois jusqu’au genoux Le paysage est superbe, c’est l’une des
rares fois où l’on peut contempler le coin de plus haut que deux
mètres au-dessus de l’eau. D’habitude, la végétation
est vraiment infranchissable, et s’étendait jusqu’à présent
au sommet des collines. Maintenant, ils commencent a être dégagés.
On a le temps de maudire
un peu les joyeux scouts, pendant la montée, mais en haut, dans
un manche balai creux, caché dans un buisson, on va trouver
dans une farde en plastique un
message d’encouragement à les rejoindre vite…
Et le soir même,
on a les Voyou ! Ils sont à l’île de Déception, dans
les Shetlands du Sud, c’est-à-dire en Antarctique ! Ils ont
traversés le détroit de Drake en trois jours, et viennent
de s’offrir un bain dans les sources d’eau chaude…
Ca entame un peu le
moral des Ataramiens, qui se verraient bien là-bas. Mais chaque
chose en son temps…
Le lendemain, réveil
à l’aube, et départ fissa pour profiter encore du beau temps.
On croise un gros chalutier à qui on demande des infos météos;
il vient de prendre son weatherfax, et nous dit « excellentes conditions
pour passer Penas » (enfin, c’est ce qu’on comprend…). Parfait,
parfait, courrons-y à Penas, encore 60 milles ! Au bout d’une
heure, notre pilote bien aimé, Gilles the king, fait des siennes
! Ca faisait longtemps ! La technique traditionnelle de démontage-nettoyage
ne porte pas ses fruits immédiatement. La première
tentative de remise en marche est ponctué d’une jolie musique de
bip-bip affolé, et d’un écran clignotant. Ca, c’est pire
que jamais. Pas grave, allons voir plus profond : aujourd’hui, démontage
total ! Eric trouve un circuit imprimé coupé, qui a
l’air d’avoir fondu ! Petit coup de soudure, remontage, et hop, on
a récupéré Gilles !
Pierre, qui a du rester
à la barre tout le temps de la réparation, assez longuette,
s’est taper un beau coup de soleil. Mais il a fait l’essentiel du
trajet menant à la Bahia Anna Pink, sortie des canaux pour aller
faire Penas. Il fait toujours beau, et le pêcheur a dit que
c’était bon. On va y aller…
On se décide
à dégonfler le dinghy, qui était entreposé
sur le pont jusque là. On a bien fait, dès qu’on passe
la protection du cap qui nous isolait de cette ouverture vers l’ouest,
vers le Pacifique, Ataram se met à danser quelques chose comme le
pogo, balloté par un houle courte et brutale. Le vent monte de trois
beaufort aussi. Quelques minutes de bricolage, et nous voici sous
2 ris-trinquette à tirer des bords contre le vent et le courant…classique.
Mais au fur et à mesure que l’on avance, car l’on avance quand même,
le vent se calme. Il est extrêmement irrégulier, en
force comme en direction, selon les ouvertures dans le relief. On
a même du mal à dire d’où il viendra quand on sera
dehors.
Quatre heures plus
tard, on en fini avec les 15 milles de la bahia Anna Pink. On continue
à contourner la peninsule Skyring –du nom du carthographe de la
Beagle, le bateau sur lequel se trouvait Darwin – mais côté
océan cette fois. Le baro descend mais on n’est pas contre
un peu de nord. On renonce donc au dernier refuge avant la haute
mer : Puerto Refugio. On est quand même quelque peu tendu.
C’est que le coin n’a pas très bonne réputation. Penas,
c’est un golfe de 60 milles, ouvert à l’ouest, qu’il faut emprunter
obligatoirement pour passer du Nord au Sud ou inversement, car il interromps
les canaux. Et pour le rejoindre, il faut sortir en haute mer quelque
75 milles plus au nord, longer la cote et passer le Cabo Raper. L’endroit
est fouetté par la houle du grand sud, et, souvent, par les dépressions
qui se forment plus sud, pour remonter sur la côte chilienne.
Cette conjonction d’éléments ont conduits les chiliens à
choisir un doux nom pour leur Golfe : le Golfe des Peines… Et le Cabo Raper
a hérité, sans doute comme de nombreux caps dangereux dans
le monde, du surnom de petit Cap Horn. Toute chose susceptible de
faire naître une certaine appréhension dans le chef d’êtres
normalement constitués qui entament ce passage sur un voilier, vous
en conviendrez. En décidant d’y aller, nous avons aussi décidé
d’y aller vite. Pas question d’attendre le vent. Dès
que l’on va moins vite à la voile que l’on ne le ferait au moteur,
on appelle Perkins à la rescousse.
Et justement, après
avoir soufflé du Nord-Ouest pendant une heure, ce qui, conjugué
avec la baisse du baro de tout à l’heure, nous a laissé penser
qu’un petit front dépressionnaire arrivait nous pousser dans le
dos, le vent vient de tomber. On se retrouve au moteur, dans une
mer pour le moins confuse. C’est le mal de mer qu’il va falloir gérer,
plus que tout, après ces semaines dans des canaux tout plats.
Au milieu de la nuit,
un vent du sud va se lever, et à l’aube, après avoir tiré
des bords quelques heures, on devra aller se réfugier sous la protection,
relative, du cap Raper pour envisager de passer le troisième ris,
et préparer le tourmentin, enfin, préparer Ataram à
son premier vrai gros baston, ou envisager d’aller se cacher dans une des
petites criques qui nous tendent leurs rivages…Le temps de préparer
le bateau, le vent est retombé ! On s’empresse donc de passer
le cap, Ataram dansant plus que jamais sur une houle qui vient, à
vue de nez, de trois directions différentes.
On ne passe le cap
que vers 13 heures, sous un ciel qui se recouvre après avoir laissé
entrevoir le soleil pendant une heure. On est contacté par
le gardien du phare, avec qui Pierre entame une longue conversation…il
devra avouer n’être pas hispanophone de naissance, et n’être
qu’à la leçon 5 de son cours d’espagnol, ce qui fera beaucoup
rire son interlocuteur en mal de papote. Dans l’après-midi,
on rentre dans le Golfe proprement dit. Le vent s’est relevé,
du nord, et se renforce, en tournant vers l’ouest. Parfait !
On tangonne le génois, et nous voilà à la voile en
train d’avaler Penas.
Mais on ne va pas tout-à-fait
assez vite. On entre dans l’obscurité dans le canal Messier,
accueilli par le radio du phare de l’île de San Pedro, très
chaleureux lui aussi. On a repéré un mouillage que
l’on pense pouvoir rejoindre de nuit, si la lune nous aide un peu.
Mais elle va en être empêchée par un petit déluge
déclenché par le passage du front qui nous a valu notre vent
de Nord-Ouest. Même de jour, on ne verrait pas à 100
mètres. A taton, grâce au phare de San Pedro, on trouve
pourtant la baie que l’on cherche, devinant vaguement l’ombre de la côte
quand les fonds ne font plus que sept mètres… L’ancre tombe,
on pense déjà à un repos bien mérité.
Et là malédiction, elle glisse comme jamais elle n’a glissé.
Elle ne prend pas du tout, le fond doit être de roche pure !
Cette baie est pourtant nomenclaturée comme mouillage possible,
une petite ancre dessinée en son milieu l’indique. Après
trois essais infructueux, il faut se rendre à l’évidence
: pas question de dormir sur ancre ici avec le vent qu’il y a. Tant
qu’à rester éveiller, on décide d’essayer de rejoindre
le canal Messier, qui est balisé de loin en loin par des phares,
et de commencer à le descendre. On doit pouvoir l’emprunter
sans trop de difficulté, car en principe les secteurs des feux parent
les dangers, ce qui signifie que quand on voit le feu, on ne peut pas être
dans une zone dangereuse. Mais les secteurs d’occultation des ces
feux semblent être approximatifs, et on manque de se foutre sur un
haut fond. On repart au ralenti, et en arrondissant énormément
ces marques lumineuses, on finit par embouquer le canal correctement.
Il n’y a plus qu’ à veiller sur le cap, en attendant d’apercevoir
la prochaine balise lumineuse.
Ha, on regrettera un
peu notre radar cette nuit là ! Mais ça ne vaut pas encore
les 800 $ du prix du magnetron… D’ailleurs, tout se passera bien, et à
six heurs, crevés mais contents, on aperçoit la petite crique
que l’on visait. En plus, un
gros coffre se trouve au milieu (un coffre, c’est une bouée,
assurée au fond par des blocs de ciment ou quelques chose d’équivalent
; assez rare en Patagonie, mais le mouillage doit servir d’attente à
de gros bateaux de pêches quand le temps est vraiment trop mauvais).
Il est un peu surdimensionné pour Ataram, mais on ne va pas faire
la fine bouche…
Prise de coffre donc,
et gros dodo. Journée récupération dans cette
très jolie crique qu’inonde le soleil quand nous émergeons
en début d’après-midi. Le front est passé, le
baro en pleine forme. Une cascade se jette au fond de la crique,
le bruit de l’eau est le seul que nous entendons. Rien…
On glande jusqu’au
lendemain dix heures. On largue notre coffre sous le soleil toujours
présent, qui chauffe maintenant tellement que le teck en devient
brûlant sous nos pieds nus. Torses nus, mais avec casquettes
anti-insolation, et, bien sûr, au moteur, on parcours la vingtaine
de milles qui nous sépare de notre mouillage suivant.
On laisse par le travers
l’isla Van der Meulen, trace d’un compatriote, ou d’un voisin hollandais
plus probablement…A quatre heures, nous pénétrons dans la
célèbre caleta Connor. Elle est célèbre
pour l'arbre
sur lequel les bateaux de passage appliquent une plaque, généralement
de bois, trace de leur passage, portant le nom du yacht, la date, parfois
son port d’attache et les noms de l’équipage. On se plie à
la tradition, et on reproduit
le logo d’Ataram sur une planche, en brûlant le bois. Palme
d’originalité pour nous, quant au motif, les autres s’étant
contenté de mots. C’est assez marrant de voir qui est passé
là. Y’a de tout, des japonais, des français, des américains,
des néo-zélandais, des russes, des italiens, des canadiens,
des chiliens, des polonais, et même des couples mixtes franco-américain
voyageant sur bateau en alu : Voyou est passé en décembre.
Sous leur plaque, un pot de confiture avec un message pour nous.
Claude nous y raconte ce qu’il appelle sa « dernière ataramade
» : après avoir utilisé une scie à sauter pour
découper sa plaque commémorative, il n’a pas voulu déposer
la lame chaude sur le pont mouillé de son bateau, et l’a donc mise…en
bouche ! Il a les lèvres de Mick Jagger. Un mot de Margot
nous informe que ça ne lui va pas si mal…Et, surprise, dans le pot
à confiture, un autre papier : c’est les marins de Plum, le Swan
italien qui nous précède. Ils sont bretons ! Ils ont lu
le mot de Claude et Margot, et ravi de trouver du français, ils
ont rajouté le leur ! Trois jours d’avance, les retrouvera t-on
? Ils accompagnent trois italiens, les propriétaires (ben
oui, à partir d’une certaine taille, et d’un certain budget, on
confie la manœuvre à des professionnels…). A Puerto Eden,
on apprendra par le livre des visiteurs qu’ils ont quitté l’Europe
en 1996, pour un tour du monde en…10 ans !
Le lendemain, toujours
grand soleil, on s’offre une petite nav pépère de 25 milles,
agrémentée de la visite d’une
épave de cargo assez impressionnante. Echoué sur
un banc de sable, il repose presque entièrement hors de l’eau, incliné
sur babord. Le banc est franc, on peut s’approcher assez près.
On semble effrayer peu les locataires du lieu, une colonies d’oiseaux innombrables
qui caquètent cependant beaucoup, pour nous éloigner sans
doute.
Le ciel se couvre un
peu, et le vent nous permet d’ouvrir le gégène. On
est dépassé par un gros cargo, le Petralia, juste avant d’entrer
dans le mouillage, superbe petit dédale d’îles que nous explorerons
en dinghy après avoir mouillé Ataram à quelques
mètres de la côte, avec un bout à terre.
Demain, on retrouve
le Phil ! Il nous a confirmé son arrivée, qui fut longtemps
plus hypothétique que prévu : le bateau était plein,
plus de places pour lui, même pour ce court trajet. Il a dû
faire appel à l’aide de l’Armada chilienne, dont le grand patron
à Puerto Natales a su convaincre le capitaine du bateau qu’il restait
encore une place pour Philippe ! Donc, retrouvailles ataramiennes
demain.