Toujours sous
le soleil, aujourd’hui parfois masqué par des nuages, nous nous
dirigeons vers notre rendez-vous, vers Puerto Eden.
Nous passons les lacets
qui conduisent au « Paso del Indio », en admirant ce que représente
la même manœuvre pour les gros navires qui nous dépassent
ou nous croisent parfois. Des virages à angle droit, dans
moins de 300 mètres de rayons, voilà qui doit demander une
certaine maîtrise. Mais malgré ces difficultés,
de nombreux capitaines choissisent cette route de « l’intérieur
» plutôt que d’affronter l’océan Pacifique dans les
50ème hurlants et les 40ème rugissants.
Quelques bouées
plus tard, nous voilà devant Puerto
Eden. Ce n’est pas grand ! C’est même très
très petit ! Probablement le plus petit des bleds que nous avons
vu jusqu'ici. Mais il a l'honneur d'être sur pas mal de carte,
car c'est le seul village dans les canaux entre Puerto Chacabuco et Puerto
Natales. Ca ne rend pas l'endroit plus important pour autant.
Le seul navire régulier qui ravitaille le village s'y arrête
la nuit dans son trajet vers Puerto Montt en venant de Puerto Natales.
C'est justement par ce
bateau, de la compagnie Navimag, qui transporte des marchandises, mais
aussi des touristes, que doit nous rejoindre le Phil.
Comme on vous l'a dit,
il a failli ne pas arriver le bougre ! Il n'y avait plus de place dans
le bateau. Et rien à faire pour faire fléchir la vendeuse
de billet. Alors il a eu recours aux grands moyens : il a contacté
le grand ponte de l'Armada (marine chilienne) à Puerto Natales,
lui expliquant combien sa présence était indispensable sur
Ataram pour résoudre tous nos problèmes électriques.
Le marin l'ayant écouté, l'a assuré que l'Armada prenait
son problème en charge. Un mot à Navimag, et Phil avait
son billet. Cela a valu une certaine notoriété à
Ataram, désormais bien connu de l'Armada. Notre arrivée
à Puerto Eden était très attendue, et Philippe, bien
qu'arrivé de nuit donc, fut embarqué sur la vedette de l'Armada
de Puerto Eden et conduit jusqu'à Ataram. Et nous ne devons
plus que rarement épeler le nom du bateau quand nous croisons un
bateau de l'Armada ou une station de surveillance terrestre.
Décidément,
cette Armada est sympa. Elle assure avec un sérieux irréprochable
la surveillance de la navigation dans ces eaux territoriales, et voilà
qu'elle rend des services annexes en plus ! Nous répercutons
donc l'opinion déjà entendues de nombreux navigateurs : sans
avoir un goût particulier pour les militaires, et encore moins les
militaires chiliens, nous avons eu d'excellents contacts avec les représentants
de l'Armada, et avons beaucoup apprécié la manière
dont ils s'acquittent de leur mission de surveillance et d'aide aux navires.
Dans ces eaux relativement moins hospitalières que les tropiques,
il est bon de se savoir suivi sérieusement, par des gens compétents.
Grâce à
l'Armada, en tout cas, nous sommes de nouveau quatre, Ataram et nous !
Le lendemain, en milieu de journée, nous quittons Puerto Eden vers
le Sud. En sortant de la baie, nous apercevons Najat, le bateau d'australiens
rencontrés à Valdivia qui descendent les canaux pour la deuxième
fois. L'année passée, ils sont allé en Antarctique,
cette année, ils vont faire un petit tour en Patagonie argentine,
avant de rentrer chez eux, en Australie, par le nord (donc les tropiques).
On discute un peu par VHF, puis on se quitte quand ils s'arrêtent
; nous ne partagerons pas le même mouillage ce soir, car nous voulons
avancer un peu vers notre but : nous comptons nous offrir demain un petit
détour par le seno Eyre, dans lequel vêle un glacier.
Grande première pour Philippe, qui en a vu plusieurs de terre, mais
pas encore de mer.
On dort dans le canal
Grappler. Le lendemain, en route pour le glacier. Le temps
est très variable. La remontée du seno, presque tout
le temps au moteur, n'en est pas moins extraordinnaire, car on aperçoit
le glacier à plus d'une dizaine de milles. En plus, des
dauphins (ou des marsouins, on n'est pas persuadé de faire la différence)
nous accompagnent pendant tout le trajet. Nous croisons, eux et nous,
de nombreux glaçons. En début d'après-midi,
on est devant le
glacier Pie XI. Superbe,
il se jette dans le seno sur une
largeur d'au moins un kilomètre. Nous assistons a la chute
de plusieurs énormes pans de glace, pendant que nous passons et
repassons devant la muraille de glace, à la limite de la zone dangereuse.
Cela crée des vagues relativement importante, comme ralentie par
la couche de glace qui flottent devant le glacier.
Après avoir pris des tas
d'images, allant jusqu'à hisser notre beau
spi asymétrique entre deux rafales, laissant Pierre dériver
sur le dinghy dans les glaces pour immortaliser l'évènement,
l'envie de marcher sur le glacier nous démange. Nous allons
mouiller sur le coté de la muraille de glace, un peu trop près
sans doute, mais quand même pas au point de se ramasser un glaçon
sur le coin du bonnet. Au pire, Ataram dansera tout seul au rythme
des chutes de glaces. Nous débarquons en surfant sur les vagues
provoquées par une de ces chutes. En quelques minutes, on
a rejoint le glacier, et surprise, on n'est pas seul : des tentes sont
dressées juste à coté du glacier, dans un zone où
la végétation a été broyée par la glace,
qui s'est ensuite retirée (fonte d'été ? amincissement
en cours ? Nous ne pourrons le déterminer). Autour des
tentes, des gens ! Nous en avons rencontrés certains à
Puerto Eden. Ils sont venus très tôt ce matin avec un
bateau de pêche qui est reparti, pour passer là quelques jours.
Après quelques minutes de communications essentiellement gestuelles
(non, j'abuse, on commence à être capable de poser des questions
simples, même si la plupart du temps, on ne comprend pas les réponses),
on s'en va se promener sur le glacier. Les types, équipés
de crampon, encordés etc, sont un peu surpris de nous voir partir
les mains dans les poches, en glazik bretons. Trompe-la-mort les
z'ataramiens ? Mais non, mais non, on ne fait que quelques pas…
Après ces quelques pas, on se décide
à aller mouiller pour la nuit. Alors que nous cherchons la
moins mauvaise place, car aucun mouillage abrité n'offre la vue
sur le glacier, un banc de dauphin vient nous aider à faire notre
choix : ils bondissent autour du bateau quand nous entrons dans une
vague anse. Excellent présage, décidons-nous, et nous
mouillons là.
Le spectacle sera grandiose pendant toute
la soirée. Baffles extérieurs à fond, nous offrons
les concertos de violoncelle de Bach à nos amis les dauphins. Une
otarie vient s'enquérir de la source de la mélodie, tournant
lentement autour de nous, et dressant hors de l'eau sa tête de gros
chien curieux. La glace irradie de bleu, tandis que le ciel, nuageux,
s'orne de légers coloris pastels roses, oranges.
Le lever est moins féerique.
Il pleut, le vent se lève, la brume s'installe. Mais bonne
nouvelle, c'est du nord. Fonçons au sud, donc. Toute
la journée, le vent va monter l'échelle beaufort. Le
recevant de trois-quart arrière tout le temps, nous
ne déroulons que le génois, la grand-voile reste pliée
sur la bôme. Dans la purée de pois totale, qui ne nous
permet plus de distinguer les deux rives du canal, nous fonçons
bientôt à plus de 8 nœuds, avec des pointes à 10 nœuds,
attestée par notre témoin impartial, le GPS. Du coup,
on allonge l'escale prévue, d'autant que le copain Najat occupe
déjà le mouillage où il n'y a clairement de place
que pour un bateau. Le mouillage suivant conseillé par les
notes se révèle de mauvaise tenue : l'ancre chasse sur un
fond de petits galets. Nous changeons d'endroit, et entrons dans
Puerto Senorêt, sous une pluie battante, qui fait mal au visage,
et des rafales assez costaudes. La passe est assez délicate,
entre un banc de sable et des rochers à demi-émergés,
mais nous n'aurons jamais moins de six mètres d'eau sous la quille,
d'après notre précieux allié le sondeur.
A nouveau, des dauphins viennent nous aider
à choisir le mouillage. Impossible de ne pas penser qu'ils
communiquent : avant la passe, ils ne sont apparus que d'un seul coté
du bateau, entre nous et le banc, comme pour nous dire "n'allez pas par
là", et maintenant, ils sautent, en groupe, et nous interprétons
évidemment cela comme des salutations de bienvenue, des félicitations
pour notre adresse dans le passage de la passe, et la joie d'avoir des
visiteurs. Riez, vous pouvez, nous en rions nous-mêmes, mais
c'est tellement bon de faire au moins seulement semblant d'y croire.
Peut-être que eux aussi en rigolent : "hé Flipper, t'as vu,
ils croient qu'on les guide, pour qui ils se prennent, les rois de Patagonie
? On n'est pas des portiers ! S'ils continuent j'arrête de sauter.
Non laisse Willy, ils ont une bonne tête". En tout cas, en l'absence
de critère logique pour nous décider entre deux baies contiguës,
nous les laissons nous guider; dans l'une, ils ne nous accompagnent pas.
Demi-tour; et celles-ci, qu'en pensez-vous amis ? Ils acquiesent
en nous suivant. Parfait, on empennele, et on mouille long, en s'assurant
par deux bouts à terre. Les guides de Puerto Senoret ont fini leur
mission, ils repartent vers d'autres occupations. On profite de notre
intérieur douillet, 13°, et à peine 87% d'humidité…Bonne
journée de travail, matelots ! Plus de 70 milles au loch.
Le ciel s'est levé avant nous ce matin,
et le vent s'est calmé, même s'il se montre toujours puissant.
Après quelques bricolages, on s'en va sous les éclaircies.
Toujours sous génois seul, on avance très bien. On laisse
sur tribord Puerto Berjemo, mauvais abri où Pedro de Sarmiento passa
quelques jours en 1580, avant de continuer son exploration des canaux.
La mémoire de ce grand marin a été honorée
: le canal où nous rentrerons, après le petit canal Innocentes,
est un long canal, très utilisé, qui permet de descendre
vers le sud en évitant la mer difficile du détroit de Nelson.
Le mauvais temps se réinstalle, on ne voit plus à 500 mètres,
et comme nous approchons d'un passage sineux et étroit, qui doit
être beau, nous allons mouiller dans une très jolie petite
baie, la bahia Wide, juste avant le goulet de l'Angostura Guia. On
y trouve des traces de campements de pêcheur. C'est toujours
bon signe, ils connaissent les bons coins en principe. D'ailleurs,
alors que ca souffle dehors, pas une rafale ne viendra perturber notre
nuit.
Le temps est avec nous, le soleil est là
pour l'Angostura Guia. C'est effectivement très beau, et on
se félicite d'avoir attendu pour le passer. Phil nous fait
un petit concert avec la BLU, tentant de capter un weatherfax (carte de
la situation atmosphérique, ici transmise par onde radio; des programmes
permettent de transformer les signaux radios en images visualisables sur
l'écran du PC). Ha, on se fait rattraper par du mauvais temps.
Pas grave, l'escale prévue n'est pas loin, et à un nom encourageant
: Puerto Bueno.
Bueno, oui, c'est et en plus, bonito.
Nous faisons une petite expédition jusqu'à un lac à
proximité, avec petits rapides, fleurs de cascades, cadre bucolique
etc, tout ça dans le but unique de nous laver. L'eau est relativement
fraîche, et les petits z'ataramiens crient très fort en glissant
dans l'onde pure. Pierre, lâchement, après s'être
savonné, lance le savon mouillé à trois mètres
de distance au brave Philou qui ne peut que produire un ZWIIIP suivi d'un
"merde" et d'un PLOUF…Le savon s'en va dans le rapide. Piet le fourbe
aura le culot d'écrire le soir dans le journal de bord "ça
fait bizarre de puer un peu moins que les autres".
La traite du lendemain est marquée
par de nombreuses rencontres : un cargo, deux
grands navires de croisière, et une vedette
de l'armada, qui constatant notre niveau d'espagnol va dégotter
à son bord un marin parlant parfaitement français ! Embouteillage
dans les canaux !
On mouille dans une jolie
petite caleta, parfaitement circulaire, et on part faire un petit de
grimpette, histoire d'élever notre point de vue sur la Patagonie.