Journées du 15 au 21 janvier 1999 : Come back du Phil à Puerto Eden, et visite à Pie XI
 
Toujours sous le soleil, aujourd’hui parfois masqué par des nuages, nous nous dirigeons vers notre rendez-vous, vers Puerto Eden. 

Nous passons les lacets qui conduisent au « Paso del Indio », en admirant ce que représente la même manœuvre pour les gros navires qui nous dépassent ou nous croisent parfois.  Des virages à angle droit, dans moins de 300 mètres de rayons, voilà qui doit demander une certaine maîtrise.  Mais malgré ces difficultés, de nombreux capitaines choissisent  cette route de « l’intérieur » plutôt que d’affronter l’océan Pacifique dans les 50ème hurlants et les 40ème rugissants. 

Quelques bouées plus tard, nous voilà devant Puerto Eden.  Ce n’est pas grand !  C’est même très très petit ! Probablement le plus petit des bleds que nous avons vu jusqu'ici.  Mais il a l'honneur d'être sur pas mal de carte, car c'est le seul village dans les canaux entre Puerto Chacabuco et Puerto Natales.  Ca ne rend pas l'endroit plus important pour autant.  Le seul navire régulier qui ravitaille le village s'y arrête la nuit dans son trajet vers Puerto Montt en venant de Puerto Natales.  C'est justement par ce bateau, de la compagnie Navimag, qui transporte des marchandises, mais aussi des touristes, que doit nous rejoindre le Phil. 

Comme on vous l'a dit, il a failli ne pas arriver le bougre ! Il n'y avait plus de place dans le bateau.  Et rien à faire pour faire fléchir la vendeuse de billet.  Alors il a eu recours aux grands moyens : il a contacté le grand ponte de l'Armada (marine chilienne) à Puerto Natales, lui expliquant combien sa présence était indispensable sur Ataram pour résoudre tous nos problèmes électriques.  Le marin l'ayant écouté, l'a assuré que l'Armada prenait son problème en charge.  Un mot à Navimag, et Phil avait son billet.  Cela a valu une certaine notoriété à Ataram, désormais bien connu de l'Armada.  Notre arrivée à Puerto Eden était très attendue, et Philippe, bien qu'arrivé de nuit donc, fut embarqué sur la vedette de l'Armada de Puerto Eden et conduit jusqu'à Ataram.  Et nous ne devons plus que rarement épeler le nom du bateau quand nous croisons un bateau de l'Armada ou une station de surveillance terrestre.   

Décidément, cette Armada est sympa.  Elle assure avec un sérieux irréprochable la surveillance de la navigation dans ces eaux territoriales, et voilà qu'elle rend des services annexes en plus !  Nous répercutons donc l'opinion déjà entendues de nombreux navigateurs : sans avoir un goût particulier pour les militaires, et encore moins les militaires chiliens, nous avons eu d'excellents contacts avec les représentants de l'Armada, et avons beaucoup apprécié la manière dont ils s'acquittent de leur mission de surveillance et d'aide aux navires.  Dans ces eaux relativement moins hospitalières que les tropiques, il est bon de se savoir suivi sérieusement, par des gens compétents. 

Grâce à l'Armada, en tout cas, nous sommes de nouveau quatre, Ataram et nous !  Le lendemain, en milieu de journée, nous quittons Puerto Eden vers le Sud. En sortant de la baie, nous apercevons Najat, le bateau d'australiens rencontrés à Valdivia qui descendent les canaux pour la deuxième fois.  L'année passée, ils sont allé en Antarctique, cette année, ils vont faire un petit tour en Patagonie argentine, avant de rentrer chez eux, en Australie, par le nord (donc les tropiques).  On discute un peu par VHF, puis on se quitte quand ils s'arrêtent ; nous ne partagerons pas le même mouillage ce soir, car nous voulons avancer un peu vers notre but : nous comptons nous offrir demain un petit détour par le seno Eyre, dans lequel vêle un glacier.  Grande première pour Philippe, qui en a vu plusieurs de terre, mais pas encore de mer. 

On dort dans le canal Grappler.  Le lendemain, en route pour le glacier.  Le temps est très variable.  La remontée du seno, presque tout le temps au moteur, n'en est pas moins extraordinnaire, car on aperçoit le glacier à plus d'une dizaine de milles.  En plus, des dauphins (ou des marsouins, on n'est pas persuadé de faire la différence) nous accompagnent pendant tout le trajet.  Nous croisons, eux et nous, de nombreux glaçons.  En début d'après-midi, on est devant le glacier Pie XI.  Superbe, il se jette dans le seno sur une largeur d'au moins un kilomètre.  Nous assistons a la chute de plusieurs énormes pans de glace, pendant que nous passons et repassons devant la muraille de glace, à la limite de la zone dangereuse.  Cela crée des vagues relativement importante, comme ralentie par la couche de glace qui flottent devant le glacier. 
 

   
Après avoir pris des tas d'images, allant jusqu'à hisser notre beau spi asymétrique entre deux rafales, laissant Pierre dériver sur le dinghy dans les glaces pour immortaliser l'évènement, l'envie de marcher sur le glacier nous démange.  Nous allons mouiller sur le coté de la muraille de glace, un peu trop près sans doute, mais quand même pas au point de se ramasser un glaçon sur le coin du bonnet.  Au pire, Ataram dansera tout seul au rythme des chutes de glaces.  Nous débarquons en surfant sur les vagues provoquées par une de ces chutes.  En quelques minutes, on a rejoint le glacier, et surprise, on n'est pas seul : des tentes sont dressées juste à coté du glacier, dans un zone où la végétation a été broyée par la glace, qui s'est ensuite retirée (fonte d'été ? amincissement en cours  ? Nous ne pourrons le déterminer).  Autour des tentes, des gens !  Nous en avons rencontrés certains à Puerto Eden.  Ils sont venus très tôt ce matin avec un bateau de pêche qui est reparti, pour passer là quelques jours.  Après quelques minutes de communications essentiellement gestuelles (non, j'abuse, on commence à être capable de poser des questions simples, même si la plupart du temps, on ne comprend pas les réponses), on s'en va se promener sur le glacier.  Les types, équipés de crampon, encordés etc, sont un peu surpris de nous voir partir les mains dans les poches, en glazik bretons.  Trompe-la-mort les z'ataramiens ?  Mais non, mais non, on ne fait que quelques pas… 

Après ces quelques pas, on se décide à aller mouiller pour la nuit.  Alors que nous cherchons la moins mauvaise place, car aucun mouillage abrité n'offre la vue sur le glacier, un banc de dauphin vient nous aider à faire notre choix : ils bondissent  autour du bateau quand nous entrons dans une vague anse.  Excellent présage, décidons-nous, et nous mouillons là.   

Le spectacle sera grandiose pendant toute la soirée.  Baffles extérieurs à fond, nous offrons les concertos de violoncelle de Bach à nos amis les dauphins. Une otarie vient s'enquérir de la source de la mélodie, tournant lentement autour de nous, et dressant hors de l'eau sa tête de gros chien curieux.  La glace irradie de bleu, tandis que le ciel, nuageux, s'orne de légers coloris pastels roses, oranges. 

Le lever est moins féerique.  Il pleut, le vent se lève, la brume s'installe.  Mais bonne nouvelle, c'est du nord.  Fonçons au sud, donc.  Toute la journée, le vent va monter l'échelle beaufort.  Le recevant de trois-quart arrière tout le temps,   nous ne déroulons que le génois, la grand-voile reste pliée sur la bôme.  Dans la purée de pois totale, qui ne nous permet plus de distinguer les deux rives du canal, nous fonçons bientôt à plus de 8 nœuds, avec des pointes à 10 nœuds, attestée par notre témoin impartial, le GPS.  Du coup, on allonge l'escale prévue, d'autant que le copain Najat occupe déjà le mouillage où il n'y a clairement de place que pour un bateau.  Le mouillage suivant conseillé par les notes se révèle de mauvaise tenue : l'ancre chasse sur un fond de petits galets.  Nous changeons d'endroit, et entrons dans Puerto Senorêt, sous une pluie battante, qui fait mal au visage, et des rafales assez costaudes.  La passe est assez délicate, entre un banc de sable et des rochers à demi-émergés, mais nous n'aurons jamais moins de six mètres d'eau sous la quille, d'après notre précieux allié le sondeur. 

A nouveau, des dauphins viennent nous aider à choisir le mouillage.  Impossible de ne pas penser qu'ils communiquent : avant la passe, ils ne sont apparus que d'un seul coté du bateau, entre nous et le banc, comme pour nous dire "n'allez pas par là", et maintenant, ils sautent, en groupe, et nous interprétons évidemment cela comme des salutations de bienvenue, des félicitations pour notre adresse dans le passage de la passe, et la joie d'avoir des visiteurs.  Riez, vous pouvez, nous en rions nous-mêmes, mais c'est tellement bon de faire au moins seulement semblant d'y croire.  Peut-être que eux aussi en rigolent : "hé Flipper, t'as vu, ils croient qu'on les guide, pour qui ils se prennent, les rois de Patagonie ? On n'est pas des portiers ! S'ils continuent j'arrête de sauter. Non laisse Willy, ils ont une bonne tête". En tout cas, en l'absence de critère logique pour nous décider entre deux baies contiguës, nous les laissons nous guider; dans l'une, ils ne nous accompagnent pas.  Demi-tour; et celles-ci, qu'en pensez-vous amis ?  Ils acquiesent en nous suivant. Parfait, on empennele, et on mouille long, en s'assurant par deux bouts à terre. Les guides de Puerto Senoret ont fini leur mission, ils repartent vers d'autres occupations.  On profite de notre intérieur douillet, 13°, et à peine 87% d'humidité…Bonne journée de travail, matelots !  Plus de 70 milles au loch. 

Le ciel s'est levé avant nous ce matin, et le vent s'est calmé, même s'il se montre toujours puissant.  Après quelques bricolages, on s'en va sous les éclaircies.  Toujours sous génois seul, on avance très bien. On laisse sur tribord Puerto Berjemo, mauvais abri où Pedro de Sarmiento passa quelques jours en 1580, avant de continuer son exploration des canaux.  La mémoire de ce grand marin a été honorée : le canal où nous rentrerons, après le petit canal Innocentes, est un long canal, très utilisé, qui permet de descendre vers le sud en évitant la mer difficile du détroit de Nelson.  Le mauvais temps se réinstalle, on ne voit plus à 500 mètres, et comme nous approchons d'un passage sineux et étroit, qui doit être beau, nous allons mouiller dans une très jolie petite baie, la bahia Wide, juste avant le goulet de l'Angostura Guia.  On y trouve des traces de campements de pêcheur.  C'est toujours bon signe, ils connaissent les bons coins en principe.  D'ailleurs, alors que ca souffle dehors, pas une rafale ne viendra perturber notre nuit. 

Le temps est avec nous, le soleil est là pour l'Angostura Guia.  C'est effectivement très beau, et on se félicite d'avoir attendu pour le passer.  Phil nous fait un petit concert avec la BLU, tentant de capter un weatherfax (carte de la situation atmosphérique, ici transmise par onde radio; des programmes permettent de transformer les signaux radios en images visualisables sur l'écran du PC).  Ha, on se fait rattraper par du mauvais temps.  Pas grave, l'escale prévue n'est pas loin, et à un nom encourageant : Puerto Bueno.  

Bueno, oui, c'est et en plus, bonito.  Nous faisons une petite expédition jusqu'à un lac à proximité, avec petits rapides, fleurs de cascades, cadre bucolique etc, tout ça dans le but unique de nous laver.  L'eau est relativement fraîche, et les petits z'ataramiens crient très fort en glissant dans l'onde pure.  Pierre, lâchement, après s'être savonné, lance le savon mouillé à trois mètres de distance au brave Philou qui ne peut que produire un ZWIIIP suivi d'un "merde" et d'un PLOUF…Le savon s'en va dans le rapide.  Piet le fourbe aura le culot d'écrire le soir dans le journal de bord "ça fait bizarre de puer un peu moins que les autres". 

La traite du lendemain est marquée par de nombreuses rencontres : un cargo, deux grands navires de croisière, et une vedette de l'armada, qui constatant notre niveau d'espagnol va dégotter à son bord un marin parlant parfaitement français ! Embouteillage dans les canaux ! 

On mouille dans une jolie petite caleta, parfaitement circulaire, et on part faire un petit de grimpette, histoire d'élever notre point de vue sur la Patagonie.