Journées du 22 au 29 janvier 1999 : Vers le détroit de Magellan
 
Grand soleil et pétole le lendemain, et pourtant le baro dégringole.  Un petit crachin vient confirmer le sentiment du prévisionniste à aiguille qui prétend depuis cette nuit qu'il va pleuvoir. On en avait rit ce matin…  En route pour la bahia Isthmus, nous croisons un chalutier, rouillé, usé;  son capitaine nous fait un brin de causette.  Il revient d'une campagne de pêche dans le passage de Drake ! Il nous dit avoir eu le pire temps de son expérience de pêcheur, et n'avoir pris que peu de poisson.  Il a l'air fatigué, amer, mais sympa ! On se sent tout petit… Les quelques plaisanciers qui se risquent dans ces contrées pour passer le Horn ou rallier l'antarctique y passent trois, quatre, cinq jours, se glissant autant que possible entre les dépressions.  Eux viennent d'y passer plusieurs semaines, par tous les temps.  Chapeau bas, hommes de mer, les petits amateurs que nous sommes, en mer pour leur plaisir, vous expriment leur respect profond ! Leurs informations météos confirment celles de bateaux rencontrés plus au nord, arrivant  du sud, qui disaient que avoir vu le pire été dans le passage de Drake et sur la terre de feu depuis longtemps.  On pense à Claude, pourvu qu'il se faufile bien… 

Bahia Isthmus est trop grande, le vent peut y souffler à l'aise.  Il ne va pas s'en priver.  Le baro est à 989 quand nous décidons de remouiller, en empelennant et avec beaucoup de chaîne.  On s'offre quelques petits calculs pour connaître la traction qui s'exerce sur la chaîne pour se rassurer : largeur du bateau x 1,2 x hauteur du rouf au-dessus de l'eau x  un coefficient aérodynamique, qui peut être modifier pour tenir compte de la poussée des vagues.  Enfin, soit, on a moins d'une tonne de traction, c'est sûr.  Et alors ?  Et alors, ca nous suffit pour bien dormir (merci Jacques !). 

Le lendemain, on part dans ce qu'il nous semble être la fin du coup de vent.  Mais voilà, le baro redescend, et en écho, dans l'heure, on essuie un grain big size.  Avec un génois tout petiot petiot, on file encore à 7 nœuds, au petit largue. Bien sûr, on perd un les balises de vue, alors qu'on est entré dans une zone très étroite du chenal, qui à un moment remonte à 12 mètres, ce qui provoque de jolies vagues, pour un canal !  Petit souvenir du passage d'une passe au Tuamotu, le bateau se faisant ramasser sur la hanche par de petites déferlantes nerveuses.  Mais le gris profond fait place à temps à un brume pénétrable, et on aligne les bouées sans problèmes. 

On descend calmement quelques milles vers le sud, vers le paso Shoal, où se trouve l'épave d'un cargo américain, le Santa Leonor. Willy de Roos ("Seul, dans le sillage des caravelles") raconte l'histoire de ce naufrage idiot : le pilote chilien qui se trouve à bord du cargo pour le passage des canaux, comme c'est le cas pour tous les cargos, communique en anglais avec l'équipage.  Il commande :"ten degrees to the left please".  Le timonier, ayant exécuté l'ordre, répète une fois le cap atteint, comme c'est l'usage, la manœuvre exécutée (sur un grand bateau, un ordre s'entend trois fois au moins lors d'une manœuvre : il est donné par le commandant du navire ou l'homme responsable du quart, ou dans des cas particuliers comme celui-ci, par un pilote extérieur à l'équipage, il est répété par l'homme de barre pour marquer qu'il a bien entendu, puis à nouveau quand il l'a exécuté, pour confirmer).  Le pilote, pour marquer son accord avec la manœuvre exécutée dit "all right", c'est-à-dire, en langage commun, très bien, parfait, mais en langage maritime "tout à droite".  L'homme de barre, docile, exécute ce qu'il croit être un nouvel ordre en mettant la barre toute à droite.  Le temps pour le pilote de comprendre la méprise, et le cargo s'échoue sur les bancs du paso Shoal, où il se trouve encore ! 

Nous ne nous échouons pas, mais c'est à nouveau alors que nous sommes dans un passage délicat que le vent s'éveille, cette fois très sérieusement.  C'est que l'on est plus qu'à quelques milles du Pacifique, par 53° sud. Là-bas, entre les grains, on aperçoit…rien, justement, plus de sommets à l'horizon : c'est le détroit de Magellan, et l'ouverture vers l'océan. Si ça souffle au large, il n'y a plus grand chose pour nous en protéger.  C'est le vent d'ouest, dominant dans ces régions qui s'expriment.  Cela nous ferme la porte d'un mouillage ouvert à l'ouest, dont il nous semble qu'il deviendrait un piège à rat dangereux si le coup de vent devenait plus sérieux encore..  Nous devons remonter au pré serré pour trouver un abri dans Puerto Profundo.  Au moteur, on tente de gagner la rive ouest du canal, imaginant qu'elle nous protégera…Mauvaise idée : le vent violent déclenche ici des williwaws, tournant à 180 degrés.   

Williquoi ? Williwaw.  Kesecé ? C'est un coup de vent très subit qui se produit dans les endroits ou de hautes montagnes enserrent les canaux : le vent descend les pentes, et balaye l'eau, la marbrant et soulevant de petites trombes.  Sa force dépend du vent moyen, mais cela peut être énorme. Sa direction peut n'avoir rien à voir avec celle du vent dominant, elle dépend du relief.  Il peut être d'ampleur différente : de petite trombe, passagère, de dimension réduite, quelques centaines de mètres de larges, qui courent sur un kilomètre maximum pendant quelques minutes.  Mais aussi, en Terre de Feu, des mouvements plus importants, déterminés non par une petite vallée sur un sommet, mais par l'orientation générale du relief.  C'est alors tout le canal qui peut être balayé par des rafales très puissantes, qui d'une minute a l'autre peuvent tourner de 180 degrés, et qui peuvent durer des heures. Heureusement, c'est le plus souvent un phénomène très bref.  Suivant leur force, on peut donc, si l'on n'est pas trop toilé, attendre que ca passe, ou affaler en vitesse s'ils semblent costauds. En tout cas, à la voile, ou au moteur, s'assurer que l'on a de l'eau à courir, et savoir que pendant quelques minutes, on n'est pas tout-à-fait maître de son bateau ... De Roos, qui a donné le nom de ce vent à son bateau nous apprend que ce mot est la transcription phonétique d'un vocable fuégien signifiant "mer agitée". 

Là, pour notre première rencontre sérieuse, on a enroulé le génois, et on se fait bousculer un peu au moteur.  Puerto Profundo, comme son nom l'indique, est …profond.  Alors qu'on s'apprête, pas très enthousiaste à mouiller par vingt mètres de fond sur ce qui nous tout l'air d'être d'un fond pierreux, alléluia, on aperçoit un havre de paix inespéré, refuge du marin, garantie sommeil lourd : un coffre, une des grosses bouées blindées de l'armada chilienne ! Yahou, c'est bon parfois la trace de l'être humain.  On double les amarres sur notre bouée subitement adorée, et apprécions enfin la beauté sauvage du lieu.  Ici, les rochers sont beaucoup plus nus : on voit bien que la violence du vent empêche ce lent processus d'accumulation de végétation qui finit par donner lieu, mousses après lichens, arbustes après fougères, arbres après arbustes, à une forêt impénétrable.  Ici, rien que des roches grises, ridées par le vent et l'eau, qui luisent sous la pluie.  Le vent ici ne souffle pas en chantant la chanson que l'on entend dans les alizés, même costauds.  Ici, il siffle, il crache, il hurle et rugit parfois.  La nuit sera bruyante, mais qu'on est bien accroché à sa grosse boule de métal rouge, dans sa couchette, son sa couette ! On a une pensée pour ceux qui sont sur l'océan avant de sombrer dans les bras de Morphée… 

Le lendemain, les drisses ont beau battre moins fort, les haubans ne plus siffler continuellement, le temps est immonde.  Nous décidons à l'unanimité que ce n'est pas un jour pour embouquer le détroit de Magellan.  Cloîtrés, on se consacre à …vous, gentils lecteurs; la partie "Chili" progresse tous les jours.  

La nuit suivant, Eric est réveillé par le bruit d'une chaîne qui s'évide.  Un gros voilier mouille dans la baie.  Il est trois heures du mat.  Faut-il l'appeler, lui proposer de partager la bouée ?  L'obscurité rend difficile l'évaluation de sa taille.  Mais il a l'air bien là, au milieu.  On verra demain… 

Le visiteur n'est pas n'importe qui : c'est Shenandoah, célèbre et sublimissime trois mâts.  On va tourner autour, bavant, faire un brin de papote avec l'équipage, qui mène la bête à Valparaiso.  Puis, on s'en va, dans un vent encore très bien établi, et un horizon qui ne connaît plus d'autre couleur que le gris, embouquer le chenal de Magellan.  

Mais notre journée d'attente, pardon, de travail, nous sert : le soleil commence à gagner la guerre, bientôt il perce les nuages.  A  la mi-journée, nous nous prélassons sur le pont, dans le Détroit de Magellan.  On a 65 milles à faire, alors quand le vent paresse, essoufflé après sa démonstration des derniers jours, on pousse au moteur.  En fin d'après-midi, on entre dans la caleta Notch, baie remarquablement protégée, fermée de toute part, à laquelle on accède en empruntant un petit dédale tortueux entre des îles et presque- îles.  Au dernier virage, surprise, il y a déjà un bateau : pavillon américain, très long mais étroit, il s'appelle "Champagne", c'est un Mac Gregor 65.  Les occupants sont déjà en train de se promener en dinghy, mais dès leur promenade terminée, ils passent saluer.  Ils montent à bord, on ouvre les bouteilles. Ils sont tous italiens exilés en République Dominicaine, sauf Claudgia, brésilienne.  Entre 30 et 40 ans.  Le proprio, Ettore, amoureux des bateaux, il a vécu cinq ans sur un bateau "quand il était jeune", puis s'est offert une vie sympathique : propriétaire d'hôtels en République Dominicaine, il s'arrange pour passer minimum trois mois sur son bateau.  Il a convié quelques copains a partager l'aventure, et avec des équipages successifs, le bateau a descendu toute la côte est de l'Amérique du Sud depuis les Antilles, avec ou sans son proprio.  Là, ils arrivent de la Patagonie argentine par le Détroit et Punta Arenas.  Le contact passe vite entre "champagnois" et ataramiens, et après l'apéro chez nous, on convient d'une bouffe chez eux.  Ils ont un frigo, luxe utile même à ces latitudes, et ont va manger un peu de frais… On remet en pratique l'idiome anglo-franco-italien qui avait cours sur Ataram en Polynésie, s'y glisse un peu de brésilien, début de cours pour nous préparer à la tchatche sur les plages de Rio, et, quand même, d'espagnol, car un de nos hôtes ne parle qu'italien et espagnol (et on ne sait pas ce qu'on massacre le moins, italien ou espagnol ?).  Rien de hautement philosophique n'est échangé, mais tout est deviné, de nos passions communes, voiles, voyages, plongée, rencontres…  On collecte évidemment des infos sur le Brésil, on admire quelques photos, on les fait baver avec l'isla de Pascua, la Polynésie. Tout le site y passe en une soirée, car l'ordi est à bord de Champagne, Phil s'étant vu lancer un défi : réussir à envoyer des e-mails avec le téléphone inmarsat d'Ettore.  Le webmaster réussira le challenge ! Reste à Ettore à reconfigurer son PC… On voit pour la première fois un téléphone iridium, rappel des petites nouveautés technologiques que l'on rate…  La nuit est solidement entamée quand on revient à bord…dodo… 

Le lendemain, grasse mat pour les deux équipages.  Comme on a encore l'ambition de faire de la route aujourd'hui, mais qu'on veut profiter du coin, propice aux promenades, on presse un peu les champagnois en leur annoncant notre départ à terre.  Il est exlu qu'on partent sans eux , et rien à faire endéans la demi-heure, Ettore est en communication avec le boulot.  Bon d'accord, ca peut avoir l'air contraignant, certains verront dans ce mode de vie une demi-mesure, mais vous en connaissez beaucoup, qui peuvent se payer le luxe de gérer une boîte depuis leur bateau, à raison d'une demi-heure par jour,  mouillé dans les canaux de Patagonie, pendant plus du tiers de l'année ?  Ca fait réfléchir quand même, non ?  Nous oui, en tout cas. 

Les affaires réglées, les deux équipages partent en expédition.  A voir le matos qu'ils emmènent, dont le moins impressionnant n'est pas un couteau de Rambo et un riot-gun spécial bateau, en acier inoxydable, ont a pas l'impression d'entamer la même promenade, c'est à peine si on les informe pas que quant à nous, on songeait passer la nuit à bord…On va finalement faire  les éclaireurs pour une grimpette nous menant aux plus hauts sommets entourant directement la caleta, qui malheureusement ne sont pas couverts de neige.  Mais on a une très belle vue sur  le détroit, et sur le glacier qui se trouve de l'autre coté.  

La promenade s'allonge, s'allonge, toujours plus haut, à la recherche d'un nouveau panorama.  Bientôt, c'est évident, on ne partira plus aujourd'hui : donc, bouffe collective sur Ataram !  Mais encore Ettore au fourneau, qui nous prépare du poisson échangé avec des pêchous quelques jours auparavant.  Délicieux !   Et délicieuse soirée encore ! 

Pendant notre fiesta, Najat est arrivé ! Trois dans un mouillage, on se croirait en Polynésie ! Embouteillage !       

Le lendemain, départ collectif, et séparation : Champagne s'en va vers le nord, un puissant vent dans le nez !  C'est nous qu'éole favorise, on descend vers le sud, sous génois, en foncant, Najat nous suit peu après. On va prendre un "raccourci" par rapport à la route normale vers la terre de feu : plutôt  que de descendre le détroit jusqu'au cabo Forward avant d'emprunter le canal Magdallena vers le sud-ouest et de remonter le canal Cockburn, d'est en ouest, avec la plupart du temps, un fort vent d'ouest dans le nez, nous empruntons le canal Barbara, raccourci Nord-Sud qui nous amène en face de l'"embranchement" canal Cockburn - canal Brecknock. Ce raccourci n'est pas sondé, ce qui signifie, qu'il n'est pas conseillé pour la navigation; seuls les canaux sondés sont garantis "tous cailloux répertories".  Les cartes indiquent clairement que  le service hydrographique chilien déconseille de naviguer dans les canaux non sondés.  Il faut a tout le moins  être prudent, et regarder son sondeur.   

Nous ne verrons pas la caleta Galant, sur la côte nord du détroit, juste après notre raccourci, lieu historique où Magellan appris la découverte du détroit au retour des pinasses envoyées en éclaireurs. 

Le raccourci nous a été conseillé par le scientifique américain rencontré à Valdivia, qui navigue dans le coin depuis dix ans sur son "Gondwana".  Il nous a même conseillé un détour dans le raccourci, parce que le passage "en vaut la peine", notamment un petit goulet un "peu juste" assez "amusant".  Pour être un peu juste, ça à l'air un peu juste…L'alarme du sondeur, calée à trois mètres, retentit alors qu'on a devant un fond qui manifestement remonte à la verticale.  Pierre donne un grand coup de barre, et le courant à contre aidant, on évite de justesse le crash grotesque, au bout du monde.  Pour en avoir le cœur net, on va vérifier en dinghy, sans moteur donc, dans un courant fort.  Phil et Eric vont suer dans leurs cirés pendant que Pierre fait des ronds avec Ataram.  Au bout d'une demi-heure de rame et de ruses pour gagner sur le courant, avant de se laisser redescendre, inspectant un passage, qui, chaque fois, commence par sembler convenir, avant qu'un banc de sable ou qu'un rocher ne le bouche, il faut se rendre à l'évidence : on n'a pas la même conception du "un peu juste amusant"…On a bien repéré une trajectoire en oblique, ou peut-être, il resterait un mètre de chaque coté, et même en dessous, mais avec le courant …. Il semble que l'on soit condamné a trouver un autre passage.  On s'en va emprunter ce qui semble être un passage plus large sur la carte, mais sans certitudes.  Heureusement, ca passe sans problèmes.   

Mais il est tard, quand nous sortons de notre dédale, et nous retrouvons  face au canal San Miguel à remonter, vent et courant dans le nez, alors que là, en face de nous, un petit estuaire nous tend les bras…de kelp.  Le kelp, ce sont les longues algues brunes qui peuvent mesurer plus de quinze mètres, et constituent de vrais forêts sous-marines.  Assez solides pour que certains voileux estiment que l'on peut crocher l'ancre dedans uniquement, sans s'occuper du fond, pour se dégager le lendemain à la machette.  Nous ne leur faisons pas cette confiance, mais les croyons quand même assez solides pour éviter de les mettre dans l'hélice.  Ceci dit ces kelp sont précieuses dans les canaux : elles  indiquent avec certitude une remontée des fonds.  En tout cas, on remet la remontée du San Miguel à demain, quand  les conditions, forcément, seront meilleures, et on va se mouiller dans l'estero. 

Surprise, une petite barque de pêcheur entre derrière nous dans l'estuaire.  Mais il fait bientôt demi-tour, avant d'être à portée de voix…Nous qui rêvions d'un échange sourire - poisson, voire whisky - poisson…L'estero sans nom est baptisé "estero du pêchou timide", et on se fait d'excellentes pâtes… 

Le lendemain, l'amélioration prévue par les prévisionnistes d'Ataram a du passer la nuit, ou être en retard…On a un bon 6-7 beaufort dans le nez, et le courant ne nous aide pas vraiment.  Mais on est dans un cul de sac, pas le choix du tout : on s'y met donc.  Jamais Ataram ne fera une moyenne pareille : il lui faudra trois heures et demis pour étaler le gros 6 milles du canal.  Au moteur, on louvoie en s'aidant de la grand-voile arrisée, dans une mer étonnant formée. 
  
Enfin, l'après-midi commence par une belle abatée, on déroule un petit morceau de gégène, car le vent est encore monté.  Belle navigation entre des îles, sans balises, sans sondes, il faut être attentif, mais c'est le bonheur ! Il y a même du soleil.  Là-bas en bas, à vingt milles, le Cockburn, ouvert à l'océan, ne doit pas être beau à voir avec le vent qu'il y a. Et ça forcit régulièrement.  Malgré le fetch limité (le fetch est la distance sur laquelle le vent peut exercé sa force sur la mer, qui détermine la hauteur des vagues, avec le temps pendant lequel cette force s'exerce), les vagues se forment, bousculant Ataram. Gilles ne barre plus depuis longtemps, c'est nous qui nous relayons à la barre.   

A 16 heures, on affale la GV en catastrophe, un grain passe…non, il s'installe. L'eau est blanche d'écume, il grêle par moment.  Ca devient sérieux !  Il est exclu de traverser Cockburn aujourd'hui.  Le port le plus proche est Puerto Tom.  On n'a pas de cartes de détail, bien sûr, et on vous a dit ce qu'il en est de la générale que nous utilisons quant à la précision…En effet, quand on aborde l'île où doit se trouver notre refuge, il y a au moins trois fois plus de cailloux que ceux repris sur la carte. Il nous faut pas mal de déduction pour trouver l'entrée de puerto Tom, qui s'avère tout sauf accueillant ! Niché au pied du mont Skyring, culminant à 914 mètres, il est balayé par les williwaws qui dévalent les pentes nues quasi verticales.   

Vous vous souvenez de notre première prise de contact avec les williwaws.  C'étaient des bébéswilli ! Ceux-ci, avec un vent soufflant certainement à 8 beaufort (peut-être plus, mais l'anémo est cassé, et il parait que l'on surestime toujours un peu le vent, donc restons modestes), doivent faire des claques à plus de 100 kilomètres/heures, sans doute plus, beaucoup plus.  Cà c'est du vent ! Plus question de rester toilé pour manœuvrer entre les cailloux.  Et au moteur, il faut guetter : quand on voit la surface de l'eau devenir toute blanche, et être soulevé en l'air, il faut se mettre face au vent, ou s'éloigner d'un danger, parce que quand on est pris par le travers, inutile de vouloir résister, pendant quelques minutes, le vent décide de la direction prise.  Ensuite, l'essentiel est de rester sur le pont, sans s'envoler !  A sec de toile (c'est-à-dire sans voile du tout), rien qu'avec le fardage (la surface que le bateau présente au vent) de la coque et du mât, Ataram gîtait comme au près sous 6 beaufort.  Bref, mais intense !  

C'est dans ces conditions que l'on cherche un abri pour la nuit, sur une île qui recèle des dizaines de vallées abruptes aptes a produire des williwaws.  Car Puerto Tom ce révèle  carrément invivable.  On s'en va chercher entre des gros cailloux un petit coin ou l'on pourrait non seulement mettre une ancre, mais aussi s'accrocher avec des bouts (cordes) a terre.  Tout ca avec une carte pas détaillée, ou la moitie des cailloux n'etait pas repertorié.  Comique…  

On a finalement trouve un endroit où les williwaws n'etaient pas trop puissants, parce que les montagnes n'étaient pas trop hautes, et qu'ils n'avaient vraiment pas beaucoup de place pour s'exprimer : notre petite anse doit faire +/- 80 mètres de diamètres.  Cela veut dire que pour mettre la chaîne suffisante pour que Ataram tienne bien, il faut l'immobiliser autant que possible le bateau dans une position.  On a donc mouillé une ancre (enfin deux, accrochée à la suite l'une de l'autres sur une même chaîne : le désormais très usité empelennage), puis deux bouts accrochés à des arbres à terre.  Et pour couronner le tout, pour s'amarrer sur une île où il n'y a pas d'arbres, on a planté une ancre dans la terre ! Cela donne lieu à une scène assez cocasse de Pierre et Phil dans le dinghy, emporté par un williwaw alors qu'ils vont planter cette ancre.  Couché au fond du pneumatique, ils attendent que ca passe, espérant ne pas chavirer.  Finalement, notre toile d'araignée tissée, Ataram encaisse bien les coups d'assommoir des williwaws, partant à la gîte comme jamais au mouillage, mais il tient. La nuit est bruyante, un peu mauvaise pour les nerfs.  Si on avait eu encore deux ou trois cents mètres de bouts, on aurait sans doute trouvé à les utiliser.  Mais là, on a sorti tout ce qu'il y a avait dans les coffres, et c'est pas trop mal, on a quand même confiance. Le lendemain, le vent a descendu à peine un degré de l'échelle beaufort, et on préférerait ne pas se faire Cockburn dans ces conditions.  Et puis, on s'est habitué à notre belle toile d'araignée, alors, on reste, se consacrant à nouveau au site, attendant que nos amis les williwaws aient finis d'essayer de coucher Ataram dans l'eau pour démonter notre belle toile d'araignée, et repartir en faire une ailleurs.  On va découvrir une autre occupation : le guindeau est plus que récalcitrant.  Jusqu'ici, il avait été assez sage, fonctionnant tous les jours, matin et soir, mais là, il part en grève.  Phil va passer toute son après-midi à négocier avec les relais une reprise du travail, arrachée de justesse.