Grand soleil et pétole le
lendemain, et pourtant le baro dégringole. Un petit crachin
vient confirmer le sentiment du prévisionniste à aiguille
qui prétend depuis cette nuit qu'il va pleuvoir. On en avait rit
ce matin… En route pour la bahia Isthmus, nous croisons un chalutier,
rouillé, usé; son capitaine nous fait un brin de causette.
Il revient d'une campagne de pêche dans le passage de Drake ! Il
nous dit avoir eu le pire temps de son expérience de pêcheur,
et n'avoir pris que peu de poisson. Il a l'air fatigué, amer,
mais sympa ! On se sent tout petit… Les quelques plaisanciers qui se risquent
dans ces contrées pour passer le Horn ou rallier l'antarctique y
passent trois, quatre, cinq jours, se glissant autant que possible entre
les dépressions. Eux viennent d'y passer plusieurs semaines,
par tous les temps. Chapeau bas, hommes de mer, les petits amateurs
que nous sommes, en mer pour leur plaisir, vous expriment leur respect
profond ! Leurs informations météos confirment celles de
bateaux rencontrés plus au nord, arrivant du sud, qui disaient
que avoir vu le pire été dans le passage de Drake et sur
la terre de feu depuis longtemps. On pense à Claude, pourvu
qu'il se faufile bien…
Bahia Isthmus est trop grande, le vent peut
y souffler à l'aise. Il ne va pas s'en priver. Le baro
est à 989 quand nous décidons de remouiller, en empelennant
et avec beaucoup de chaîne. On s'offre quelques petits calculs
pour connaître la traction qui s'exerce sur la chaîne pour
se rassurer : largeur du bateau x 1,2 x hauteur du rouf au-dessus de l'eau
x un coefficient aérodynamique, qui peut être modifier
pour tenir compte de la poussée des vagues. Enfin, soit, on
a moins d'une tonne de traction, c'est sûr. Et alors ?
Et alors, ca nous suffit pour bien dormir (merci Jacques !).
Le lendemain, on part dans ce qu'il nous
semble être la fin du coup de vent. Mais voilà, le baro
redescend, et en écho, dans l'heure, on essuie un grain big size.
Avec un génois tout petiot petiot, on file encore à 7 nœuds,
au petit largue. Bien sûr, on perd un les balises de vue, alors qu'on
est entré dans une zone très étroite du chenal, qui
à un moment remonte à 12 mètres, ce qui provoque de
jolies vagues, pour un canal ! Petit souvenir du passage d'une passe
au Tuamotu, le bateau se faisant ramasser sur la hanche par de petites
déferlantes nerveuses. Mais le gris profond fait place à
temps à un brume pénétrable, et on aligne les bouées
sans problèmes.
On descend calmement quelques milles vers
le sud, vers le paso Shoal, où se trouve l'épave
d'un cargo américain, le Santa Leonor. Willy de Roos ("Seul,
dans le sillage des caravelles") raconte l'histoire de ce naufrage idiot
: le pilote chilien qui se trouve à bord du cargo pour le passage
des canaux, comme c'est le cas pour tous les cargos, communique en anglais
avec l'équipage. Il commande :"ten degrees to the left please".
Le timonier, ayant exécuté l'ordre, répète
une fois le cap atteint, comme c'est l'usage, la manœuvre exécutée
(sur un grand bateau, un ordre s'entend trois fois au moins lors d'une
manœuvre : il est donné par le commandant du navire ou l'homme responsable
du quart, ou dans des cas particuliers comme celui-ci, par un pilote extérieur
à l'équipage, il est répété par l'homme
de barre pour marquer qu'il a bien entendu, puis à nouveau quand
il l'a exécuté, pour confirmer). Le pilote, pour marquer
son accord avec la manœuvre exécutée dit "all right", c'est-à-dire,
en langage commun, très bien, parfait, mais en langage maritime
"tout à droite". L'homme de barre, docile, exécute
ce qu'il croit être un nouvel ordre en mettant la barre toute à
droite. Le temps pour le pilote de comprendre la méprise,
et le cargo s'échoue sur les bancs du paso Shoal, où il se
trouve encore !
Nous ne nous échouons pas, mais c'est
à nouveau alors que nous sommes dans un passage délicat que
le vent s'éveille, cette fois très sérieusement.
C'est que l'on est plus qu'à quelques milles du Pacifique, par 53°
sud. Là-bas, entre les grains, on aperçoit…rien, justement,
plus de sommets à l'horizon : c'est le détroit de Magellan,
et l'ouverture vers l'océan. Si ça souffle au large, il n'y
a plus grand chose pour nous en protéger. C'est le vent d'ouest,
dominant dans ces régions qui s'expriment. Cela nous ferme
la porte d'un mouillage ouvert à l'ouest, dont il nous semble qu'il
deviendrait un piège à rat dangereux si le coup de vent devenait
plus sérieux encore.. Nous devons remonter au pré serré
pour trouver un abri dans Puerto Profundo. Au moteur, on tente de
gagner la rive ouest du canal, imaginant qu'elle nous protégera…Mauvaise
idée : le vent violent déclenche ici des williwaws, tournant
à 180 degrés.
Williquoi ? Williwaw.
Kesecé ? C'est un coup de vent très subit qui se produit
dans les endroits ou de hautes montagnes enserrent les canaux : le vent
descend les pentes, et balaye l'eau,
la marbrant et soulevant de petites trombes. Sa force dépend
du vent moyen, mais cela peut être énorme. Sa direction peut
n'avoir rien à voir avec celle du vent dominant, elle dépend
du relief. Il peut être d'ampleur différente : de petite
trombe, passagère, de dimension réduite, quelques centaines
de mètres de larges, qui courent sur un kilomètre maximum
pendant quelques minutes. Mais aussi, en Terre de Feu, des mouvements
plus importants, déterminés non par une petite vallée
sur un sommet, mais par l'orientation générale du relief.
C'est alors tout le canal qui peut être balayé par des rafales
très puissantes, qui d'une minute a l'autre peuvent tourner de 180
degrés, et qui peuvent durer des heures. Heureusement, c'est le
plus souvent un phénomène très bref. Suivant
leur force, on peut donc, si l'on n'est pas trop toilé, attendre
que ca passe, ou affaler en vitesse s'ils semblent costauds. En tout cas,
à la voile, ou au moteur, s'assurer que l'on a de l'eau à
courir, et savoir que pendant quelques minutes, on n'est pas tout-à-fait
maître de son bateau ... De
Roos, qui a donné le nom de ce vent à son bateau nous
apprend que ce mot est la transcription phonétique d'un vocable
fuégien signifiant "mer agitée".
Là, pour notre première rencontre
sérieuse, on a enroulé le génois, et on se fait bousculer
un peu au moteur. Puerto Profundo, comme son nom l'indique, est …profond.
Alors qu'on s'apprête, pas très enthousiaste à mouiller
par vingt mètres de fond sur ce qui nous tout l'air d'être
d'un fond pierreux, alléluia, on aperçoit un havre de paix
inespéré, refuge du marin, garantie sommeil lourd : un coffre,
une des grosses bouées blindées de l'armada chilienne ! Yahou,
c'est bon parfois la trace de l'être humain. On double les
amarres sur notre bouée subitement adorée, et apprécions
enfin la beauté sauvage du lieu. Ici, les rochers sont beaucoup
plus nus : on voit bien que la violence du vent empêche ce lent processus
d'accumulation de végétation qui finit par donner lieu, mousses
après lichens, arbustes après fougères, arbres après
arbustes, à une forêt impénétrable. Ici,
rien que des roches grises, ridées par le vent et l'eau, qui luisent
sous la pluie. Le vent ici ne souffle pas en chantant la chanson
que l'on entend dans les alizés, même costauds. Ici,
il siffle, il crache, il hurle et rugit parfois. La nuit sera bruyante,
mais qu'on est bien accroché à sa grosse boule de métal
rouge, dans sa couchette, son sa couette ! On a une pensée pour
ceux qui sont sur l'océan avant de sombrer dans les bras de Morphée…
Le lendemain, les drisses ont beau battre
moins fort, les haubans ne plus siffler continuellement, le temps est immonde.
Nous décidons à l'unanimité que ce n'est pas un jour
pour embouquer le détroit de Magellan. Cloîtrés,
on se consacre à …vous, gentils lecteurs; la partie "Chili" progresse
tous les jours.
La nuit suivant, Eric est réveillé
par le bruit d'une chaîne qui s'évide. Un gros voilier
mouille dans la baie. Il est trois heures du mat. Faut-il l'appeler,
lui proposer de partager la bouée ? L'obscurité rend
difficile l'évaluation de sa taille. Mais il a l'air bien
là, au milieu. On verra demain…
Le visiteur n'est pas n'importe qui : c'est
Shenandoah, célèbre et sublimissime trois mâts.
On va tourner autour, bavant, faire un brin de papote avec l'équipage,
qui mène la bête à Valparaiso. Puis, on s'en
va, dans un vent encore très bien établi, et un horizon qui
ne connaît plus d'autre couleur que le gris, embouquer le chenal
de Magellan.
Mais notre journée d'attente, pardon,
de travail, nous sert : le soleil commence à gagner la guerre, bientôt
il perce les nuages. A la mi-journée, nous nous prélassons
sur le pont, dans le Détroit de Magellan. On a 65 milles à
faire, alors quand le vent paresse, essoufflé après sa démonstration
des derniers jours, on pousse au moteur. En fin d'après-midi,
on entre dans la caleta
Notch, baie remarquablement protégée, fermée de
toute part, à laquelle on accède en empruntant un petit dédale
tortueux entre des îles et presque- îles. Au dernier
virage, surprise, il y a déjà un bateau : pavillon américain,
très long mais étroit, il s'appelle "Champagne", c'est un
Mac Gregor 65. Les occupants sont déjà en train de
se promener en dinghy, mais dès leur promenade terminée,
ils passent saluer. Ils montent à bord, on ouvre les bouteilles.
Ils sont tous italiens exilés en République Dominicaine,
sauf Claudgia, brésilienne. Entre 30 et 40 ans. Le proprio,
Ettore, amoureux des bateaux, il a vécu cinq ans sur un bateau "quand
il était jeune", puis s'est offert une vie sympathique : propriétaire
d'hôtels en République Dominicaine, il s'arrange pour passer
minimum trois mois sur son bateau. Il a convié quelques copains
a partager l'aventure, et avec des équipages successifs, le bateau
a descendu toute la côte est de l'Amérique du Sud depuis les
Antilles, avec ou sans son proprio. Là, ils arrivent de la
Patagonie argentine par le Détroit et Punta Arenas. Le contact
passe vite entre "champagnois" et ataramiens, et après l'apéro
chez nous, on convient d'une bouffe chez eux. Ils ont un frigo, luxe
utile même à ces latitudes, et ont va manger un peu de frais…
On remet en pratique l'idiome anglo-franco-italien qui avait cours sur
Ataram en Polynésie, s'y glisse un peu de brésilien, début
de cours pour nous préparer à la tchatche sur les plages
de Rio, et, quand même, d'espagnol, car un de nos hôtes ne
parle qu'italien et espagnol (et on ne sait pas ce qu'on massacre le moins,
italien ou espagnol ?). Rien de hautement philosophique n'est échangé,
mais tout est deviné, de nos passions communes, voiles, voyages,
plongée, rencontres… On collecte évidemment des infos
sur le Brésil, on admire quelques photos, on les fait baver avec
l'isla de Pascua, la Polynésie. Tout le site y passe en une soirée,
car l'ordi est à bord de Champagne, Phil s'étant vu lancer
un défi : réussir à envoyer des e-mails avec le téléphone
inmarsat d'Ettore. Le webmaster réussira le challenge ! Reste
à Ettore à reconfigurer son PC… On voit pour la première
fois un téléphone iridium, rappel des petites nouveautés
technologiques que l'on rate… La nuit est solidement entamée
quand on revient à bord…dodo…
Le lendemain, grasse mat pour les deux équipages.
Comme on a encore l'ambition de faire de la route aujourd'hui, mais qu'on
veut profiter du coin, propice aux promenades, on presse un peu les champagnois
en leur annoncant notre départ à terre. Il est exlu
qu'on partent sans eux , et rien à faire endéans la demi-heure,
Ettore est en communication avec le boulot. Bon d'accord, ca peut
avoir l'air contraignant, certains verront dans ce mode de vie une demi-mesure,
mais vous en connaissez beaucoup, qui peuvent se payer le luxe de gérer
une boîte depuis leur bateau, à raison d'une demi-heure par
jour, mouillé dans les canaux de Patagonie, pendant plus du
tiers de l'année ? Ca fait réfléchir quand même,
non ? Nous oui, en tout cas.
Les affaires réglées, les deux
équipages partent en expédition. A voir le matos qu'ils
emmènent, dont le moins impressionnant n'est pas un couteau de Rambo
et un riot-gun spécial bateau, en acier inoxydable, ont a pas l'impression
d'entamer la même promenade, c'est à peine si on les informe
pas que quant à nous, on songeait passer la nuit à bord…On
va finalement faire les éclaireurs pour une grimpette nous
menant aux plus hauts sommets entourant directement la caleta, qui malheureusement
ne sont pas couverts de neige. Mais on a une très
belle vue sur le détroit, et sur le glacier qui se trouve
de l'autre coté.
La promenade s'allonge, s'allonge, toujours
plus haut, à la recherche d'un nouveau panorama. Bientôt,
c'est évident, on ne partira plus aujourd'hui : donc, bouffe collective
sur Ataram ! Mais encore Ettore au fourneau, qui nous prépare
du poisson échangé avec des pêchous quelques jours
auparavant. Délicieux ! Et délicieuse soirée
encore !
Pendant notre fiesta, Najat est arrivé
! Trois dans un mouillage, on se croirait en Polynésie ! Embouteillage
!
Le lendemain, départ collectif, et
séparation : Champagne s'en va vers le nord, un puissant vent dans
le nez ! C'est nous qu'éole favorise, on descend vers le sud,
sous génois, en foncant, Najat nous suit peu après. On va
prendre un "raccourci" par rapport à la route normale vers la terre
de feu : plutôt que de descendre le détroit jusqu'au
cabo Forward avant d'emprunter le canal Magdallena vers le sud-ouest et
de remonter le canal Cockburn, d'est en ouest, avec la plupart du temps,
un fort vent d'ouest dans le nez, nous empruntons le canal Barbara, raccourci
Nord-Sud qui nous amène en face de l'"embranchement" canal Cockburn
- canal Brecknock. Ce raccourci n'est pas sondé, ce qui signifie,
qu'il n'est pas conseillé pour la navigation; seuls les canaux sondés
sont garantis "tous cailloux répertories". Les cartes indiquent
clairement que le service hydrographique chilien déconseille
de naviguer dans les canaux non sondés. Il faut a tout le
moins être prudent, et regarder son sondeur.
Nous ne verrons pas la caleta Galant, sur
la côte nord du détroit, juste après notre raccourci,
lieu historique où Magellan appris la découverte du détroit
au retour des pinasses envoyées en éclaireurs.
Le raccourci nous a été conseillé
par le scientifique américain rencontré à Valdivia,
qui navigue dans le coin depuis dix ans sur son "Gondwana". Il nous
a même conseillé un détour dans le raccourci, parce
que le passage "en vaut la peine", notamment un petit goulet un "peu juste"
assez "amusant". Pour être un peu juste, ça à
l'air un peu juste…L'alarme du sondeur, calée à trois mètres,
retentit alors qu'on a devant un fond qui manifestement remonte à
la verticale. Pierre donne un grand coup de barre, et le courant
à contre aidant, on évite de justesse le crash grotesque,
au bout du monde. Pour en avoir le cœur net, on va vérifier
en dinghy, sans moteur donc, dans un courant fort. Phil et Eric vont
suer dans leurs cirés pendant que Pierre fait des ronds avec Ataram.
Au bout d'une demi-heure de rame et de ruses pour gagner sur le courant,
avant de se laisser redescendre, inspectant un passage, qui, chaque fois,
commence par sembler convenir, avant qu'un banc de sable ou qu'un rocher
ne le bouche, il faut se rendre à l'évidence : on n'a pas
la même conception du "un peu juste amusant"…On a bien repéré
une trajectoire en oblique, ou peut-être, il resterait un mètre
de chaque coté, et même en dessous, mais avec le courant ….
Il semble que l'on soit condamné a trouver un autre passage.
On s'en va emprunter ce qui semble être un passage plus large sur
la carte, mais sans certitudes. Heureusement, ca passe sans problèmes.
Mais il est tard, quand nous sortons de notre
dédale, et nous retrouvons face au canal San Miguel à
remonter, vent et courant dans le nez, alors que là, en face de
nous, un petit estuaire nous tend les bras…de kelp. Le kelp, ce sont
les longues algues brunes qui peuvent mesurer plus de quinze mètres,
et constituent de vrais forêts sous-marines. Assez solides
pour que certains voileux estiment que l'on peut crocher l'ancre dedans
uniquement, sans s'occuper du fond, pour se dégager le lendemain
à la machette. Nous ne leur faisons pas cette confiance, mais
les croyons quand même assez solides pour éviter de les mettre
dans l'hélice. Ceci dit ces kelp sont précieuses dans
les canaux : elles indiquent avec certitude une remontée des
fonds. En tout cas, on remet la remontée du San Miguel à
demain, quand les conditions, forcément, seront meilleures,
et on va se mouiller dans l'estero.
Surprise, une petite barque de pêcheur
entre derrière nous dans l'estuaire. Mais il fait bientôt
demi-tour, avant d'être à portée de voix…Nous qui rêvions
d'un échange sourire - poisson, voire whisky - poisson…L'estero
sans nom est baptisé "estero du pêchou timide", et on se fait
d'excellentes pâtes…
Le lendemain, l'amélioration prévue
par les prévisionnistes d'Ataram a du passer la nuit, ou être
en retard…On a un bon 6-7 beaufort dans le nez, et le courant ne nous aide
pas vraiment. Mais on est dans un cul de sac, pas le choix du tout
: on s'y met donc. Jamais Ataram ne fera une moyenne pareille : il
lui faudra trois heures et demis pour étaler le gros 6 milles du
canal. Au moteur, on louvoie en s'aidant de la grand-voile arrisée,
dans une mer étonnant formée.
Enfin, l'après-midi commence par
une belle abatée, on déroule un petit morceau de gégène,
car le vent est encore monté. Belle navigation entre des îles,
sans balises, sans sondes, il faut être attentif, mais c'est le bonheur
! Il y a même du soleil. Là-bas en bas, à vingt
milles, le Cockburn, ouvert à l'océan, ne doit pas être
beau à voir avec le vent qu'il y a. Et ça forcit régulièrement.
Malgré le fetch limité (le fetch est la distance sur laquelle
le vent peut exercé sa force sur la mer, qui détermine la
hauteur des vagues, avec le temps pendant lequel cette force s'exerce),
les vagues se forment, bousculant Ataram. Gilles ne barre plus depuis longtemps,
c'est nous qui nous relayons à la barre.
A 16 heures, on affale la GV en catastrophe,
un grain passe…non, il s'installe. L'eau est blanche d'écume, il
grêle par moment. Ca devient sérieux ! Il est
exclu de traverser Cockburn aujourd'hui. Le port le plus proche est
Puerto Tom. On n'a pas de cartes de détail, bien sûr,
et on vous a dit ce qu'il en est de la générale que nous
utilisons quant à la précision…En effet, quand on aborde
l'île où doit se trouver notre refuge, il y a au moins trois
fois plus de cailloux que ceux repris sur la carte. Il nous faut pas mal
de déduction pour trouver l'entrée de puerto Tom, qui s'avère
tout sauf accueillant ! Niché au pied du mont Skyring, culminant
à 914 mètres, il est balayé par les williwaws qui
dévalent les pentes nues quasi verticales.
Vous vous souvenez de notre première
prise de contact avec les williwaws. C'étaient des bébéswilli
! Ceux-ci, avec un vent soufflant certainement à 8 beaufort (peut-être
plus, mais l'anémo est cassé, et il parait que l'on surestime
toujours un peu le vent, donc restons modestes), doivent faire des claques
à plus de 100 kilomètres/heures, sans doute plus, beaucoup
plus. Cà c'est du vent ! Plus question de rester toilé
pour manœuvrer entre les cailloux. Et au moteur, il faut guetter
: quand on voit la surface de l'eau devenir toute blanche, et être
soulevé en l'air, il faut se mettre face au vent, ou s'éloigner
d'un danger, parce que quand on est pris par le travers, inutile de vouloir
résister, pendant quelques minutes, le vent décide de la
direction prise. Ensuite, l'essentiel est de rester sur le pont,
sans s'envoler ! A sec de toile (c'est-à-dire sans voile du
tout), rien qu'avec le fardage (la surface que le bateau présente
au vent) de la coque et du mât, Ataram gîtait comme au près
sous 6 beaufort. Bref, mais intense !
C'est dans ces conditions que l'on cherche
un abri pour la nuit, sur une île qui recèle des dizaines
de vallées abruptes aptes a produire des williwaws. Car Puerto
Tom ce révèle carrément invivable. On
s'en va chercher entre des gros cailloux un petit coin ou l'on pourrait
non seulement mettre une ancre, mais aussi s'accrocher avec des bouts (cordes)
a terre. Tout ca avec une carte pas détaillée, ou la
moitie des cailloux n'etait pas repertorié. Comique…
On a finalement trouve un endroit où
les williwaws n'etaient pas trop puissants, parce que les montagnes n'étaient
pas trop hautes, et qu'ils n'avaient vraiment pas beaucoup de place pour
s'exprimer : notre petite anse doit faire +/- 80 mètres de diamètres.
Cela veut dire que pour mettre la chaîne suffisante pour que Ataram
tienne bien, il faut l'immobiliser autant que possible le bateau dans une
position. On a donc mouillé une ancre (enfin deux, accrochée
à la suite l'une de l'autres sur une même chaîne : le
désormais très usité empelennage), puis deux bouts
accrochés à des arbres à terre. Et pour couronner
le tout, pour s'amarrer
sur une île où il n'y a pas d'arbres, on a planté une
ancre dans la terre ! Cela donne lieu à une scène assez
cocasse de Pierre et Phil dans le dinghy, emporté par un williwaw
alors qu'ils vont planter cette ancre. Couché au fond du pneumatique,
ils attendent que ca passe, espérant ne pas chavirer. Finalement,
notre toile d'araignée tissée, Ataram encaisse bien les coups
d'assommoir des williwaws, partant à la gîte comme jamais
au mouillage, mais il tient. La nuit est bruyante, un peu mauvaise pour
les nerfs. Si on avait eu encore deux ou trois cents mètres
de bouts, on aurait sans doute trouvé à les utiliser.
Mais là, on a sorti tout ce qu'il y a avait dans les coffres, et
c'est pas trop mal, on a quand même confiance. Le lendemain, le vent
a descendu à peine un degré de l'échelle beaufort,
et on préférerait ne pas se faire Cockburn dans ces conditions.
Et puis, on s'est habitué à notre belle toile d'araignée,
alors, on reste, se consacrant à nouveau au site, attendant que
nos amis les williwaws aient finis d'essayer de coucher Ataram dans l'eau
pour démonter notre belle toile d'araignée, et repartir en
faire une ailleurs. On va découvrir une autre occupation :
le guindeau est plus que récalcitrant. Jusqu'ici, il avait
été assez sage, fonctionnant tous les jours, matin et soir,
mais là, il part en grève. Phil va passer toute son
après-midi à négocier avec les relais une reprise
du travail, arrachée de justesse.