Journée du 15 mai 98 :  Vers les Galapagos
 
La nuit a été très –trop- calme (sauf pour le poète, qui a encore écrit : "1 à 2 nœuds, on avance pas, mais on s’en fout"). 

Quelques petits grains ce matin, beaucoup de pluie, pas de vent. 

On met à contribution Marc-Quentin, notre régulateur d’allure. Après quelques réglages, bienvenus pour passer le temps, il fonctionne pas trop mal.  On passe alors aux voiles : essai du spi asymétrique, sans succès.  On grée l’autre, le vieux, le moche, le symétrique, et lui prend, on accélère. 

Une heure plus tard, on voit arriver un nouveau grain. Bien qu’il ait une sale tête noire, le captain-marin d’eau douce, lassé d’affaler pour rien, décide de « voir ce que ça donne ».  C’est tout vu : c’est un grain plus sérieux que les autres qui arrive.  Ca donne le vent qui passe 10 à 30 nœuds en 30 secondes.  Ataram part au lof, ce qui signifie qu’il se couche violemment entraîné par la portance énorme du spi.  Le temps de songer à choquer en grand, le spi éclate, déchiré sur toute la longueur de la chute.  Il tombe dans l’eau, faisant chalut.  Ataram se redresse.  Pierre se précipite, et Phil, appelé en renfort, débouche de la descente trempé comme une éponge.  Il vient pourtant de l’intérieur ! Mais son hublot était ouvert, et sa cabine s’est transformée en aquarium le temps du départ au lof.  Il écoutait la radio, qui sert maintenant de refuge à mollusque.  Le vent continue à monter pendant la récupération du spi.  Il y a trois milles choses à faire sur le pont : le spi chalute toujours, le taud anti-soleil est en train de s’envoler, il faudrait prendre des ris (réduire la surface de la grand voile), installer la trinquette (voile de gros temps qui remplace le génois) etc…Six mains ne serait pas de trop, mais celles du barreur sont monopolisées, il faut maintenir le bateau vent arrière.  Dans le chaos régnant, tentant malgré tout d’aider les autres, ce barreur (c’est-à-dire, pour rompre l’anonymat confortable, moi, Eric) commet l’erreur de barre à ne pas commettre : empannage incontrolé.  La grand voile passe violemment d’un bord à l’autre, arrachant le rail de fargue sur lequel est frappée (c'est-à-dire fixée) la retenue de grand-voile, et emportant tout ce qui s’oppose à sa course.  S’y trouve notamment le taud et l’arcade sourcilière de Pierre, qui répand maintenant des taches de sang dans le cockpit.  On jette ce qui reste du taud à l’intérieur, pour s’attaquer à la grand voile.  Pierre s’enquérant du nombre de ris à prendre, petit coup d’œil à l’anémomètre : le vent souffle à 50 nœuds, il n’est plus question de ris mais d’affaler toute la toile.  Dans la manœuvre, la grand-voile se déchire.  Youpiee.  Encore quelques rangements sur le pont, et Philippe prend la barre pour maintenir Ataram en fuite, à sec de toile à 5 noeuds.  Eric va commettre un peu d’exercice illégal de la médecine pour recoudre l’arcade de Pierre.  Son seul entraînement avant cela : couture de jambon.  Le bateau roule sur la mer levée par le vent.  Le patient, parfait, est plus calme que son chirugien, terrorisé à l’idée de balafrer son pote à vie.  Trois points plus tard, Pierre va au lit, drogué d’anti-inflammatoires. 

Le vent est retombé à 30 nœuds.  Eric grée la trinquette, puis remplace Phil à la barre, qui va au lit non sans avoir mis la radio « à sécher ».  Le vent tombe progressivement, le grain est bien passé, mais la mer résiduelle est très désagréable.  Le pilote automatique décide de participer à la fête en indiquant qu’il va ne plus fonctionner …. On s’en passera (il se remettra en route tout aussi mystérieusement quelques heures plus tard). 

En milieu de soirée, le vent tombe tout-à-fait, mais bien sûr pas la mer.  Tant qu’ à se faire secouer, moteur.  Deux heures plus tard, on peut le couper, et naviguer sous régulateur d’allure.