Le dimanche
31 mai à l’aube nous sortons définitivement de l’archipel
des Galapagos sur les traces des découvreurs espagnols (les polynésiens
ont fait eux le trajet à l’envers bien avant cela).
Hier, en fin de journée
nous avons croisé « Martin », beau sloop en alu, qui
est parti voici plusieurs jours. A la VHF, le skipper nous a expliqué
que ses enfants étaient tombé malades, et qu’ils avaient
décidé de faire demi-tour. Bien entendu, maintenant
qu’ils se rapprochent des îles, les enfants vont beaucoup mieux.
Il nous annonce que le fort courant qui nous pousse continue loin au large
de l’archipel ; il se bat contre celui-ci et le vent pour depuis deux jours
pour remonter ce qu’il avait fait en un.
La première
partie de traversée va être assez calme ; agrémentée
de musique et de lecture, elle va voir l’équipage d’Ataram se convertir
à une nouvelle religion : le bien mangé en mer. Philippe
développe des talents qu’il possédait déjà,
Eric se découvre une improbable vocation de pâtissier du bord,
et Pierre rédige un ouvrage sur l’importance du tourné de
poële dans le fristouillage des patates-oignons.
On se met à
la météo aussi, ce qui amène quelques discussions
surréalistes sur le nom des nuages perturbés que l’on observe
: alto-stratus ou stato-cumulus ? La discussion touchant aux conséquences
à tirer de ces observations se soldant souvent par le credo ataramien
: « on verra bien ».
Le 1er jour du mois
de juin restera dans les mémoires comme celui de la première
prise des marins-pêcheurs d’Ataram. Alors que nous entamons
un ris-maïs-concombres dans lequel, résigné, on se décide
à mettre du thon en boîte, Pierre prétend que les lignes,
les deux, bougent anormalement. Perplexité à bord.
Pierre relève une ligne, et pour lui faire plaisir, Eric, narquois,
relève l’autre. Et là, sous nos yeux ébahis
: poisson sur chaque ligne. Les tendances sadiques de chacun se révèle
au moment de l’assassinat des poissons ; Philippe s’avèrera le plus
cruel, et y gagne le titre de bourreau du bord, docteur ès décapitation.
Désormais, c’est à lui qu’auront affaire toutes nos prises.
Il innove en décrétant qu’il ne sert à rien d’essayer
de tuer, voire simplement d’assommer un poisson avant de lui couper la
tête, s’attaquant à l’essentiel immédiatement.
La jupe du bateau est le théatre de cet affrontement sanglant ;
elle peut heureusement être nettoyée facilement. Et
le carnage en vaut la peine ; désormais nous goûterons
régulièrement les productions de la mer. Cette première
prise est constituée de que nous croyons être un tazar, et
d’un excellent thon rouge. Sa chair est délicieuse crue, avec
seulement quelques oignons, du citron, et quelques aromates.
Nous voilà météorologues
avertis, chef coqs en devenir, pourtant le temps se fait long ; notre compagnie
ne nous réjouit plus autant, et nous nous inventons des compagnons
pour se donner l’illusion que nous sommes nombreux sur Ataram : outre les
déjà célèbres Gilles le pilote automatique
et Marc-Quentin le régulateur défaillant, nous baptisons
le spi Rémi, la grand-voile Josiane, le génois…Gégène,
nos rapalas (poissons appâts en plastique) Roger et Robert.
Ca fait du monde à qui causer.
Pendant le début
de cette semaine tranquille, notre spi asymétrique aux couleurs
de la Région nous tire dans un petit 3 beaufort. Mais bientôt
on reçoit des alizés plus costauds, faut enlever notre belle
voile, notre petit morceau de chez nous (de 145 m2 quand même).
Le vent monte jour après jour, chaque fois que l’on affale, que
l’on enroule Gégène, que l’on prend un ris chez Josiane,
on pense que c’est pour quelques heures. Mais non, toute toile enlevée
ne remontera pas avant un moment, le vent l’a décidé.
La vie se fait moins exubérante sur Ataram… Bien que nous soyons
au portant, avec les vagues sur trois-quarts arrière, les mouvements
de bateau se font assez forts. On se remet à barrer beaucoup,
quand on a l’impression que Gilles n’assume plus très bien.
Le reste du temps, nos activités classiques reprennent le dessus
: au hit-parade, sieste et lecture.
Les petites tâches
quotidiennes ne sont pas sans danger. Démonstration aujourd’hui
par Eric. En fin d’après-midi, alors qu' Ataram fonce sous
génois tangonné, par 6 beaufort, sur une mer formée,
il descend dans la jupe faire la vaisselle. Il lui reste la planche
à pain à rincer. Il l’enfonce vigoureusement
dans l’eau, la planche subit bien entendu une pression importante vu la
vitesse du bateau, et entraîne Eric, accroupi sans sécurité.
Il esquisse mollement le geste d’attraper le régulateur d’allure
pour se retenir, ne pensant même pas à la possibilité
de tomber vraiment à l’eau. Mais si, c’est possible, et plouf,
le voilà dans l’eau, sa planche en main. Pierre est dans le
cockpit pendant cet exploit, et sa première réaction apercevant
Eric dans l’eau est de chercher le gag, le harnais qui forcément
le relie au bateau ou le bout soigneusement dissimulé par ce farceur
d'Eric. Mais il doit se rendre à l’évidence :
il n’y a pas de gag, il y a un homme à la mer et le regard que s’échangent
le mouillé et le sec témoigne de la surprise mutuelle.
Alors, les réflexes reviennent, Pierre appelle Philippe et ils arrêtent
le bateau à quelques longueurs, génois enroulé avec
son tangon, grand-voile choquée.. Eric, jusque là
immobile, flottant sa planche à pain en main, ignorant combien de
temps il allait devoir rester dans l’eau, se met à nager vers eux.
A chaque brasse dans cette mer quand même remuante, il perd un peu
son beau sang-froid, et arrive au bateau les poumons plein d’un mélange
eau-air assez peu regénérant. Il sera quand même
capable d’avaler la bouffe que Phil a préparé l’air de rien,
pendant sa baignade. Tout est bien, mais on évitera à
l’avenir les vaisselles dans la jupe quand la mer est agitée…
Le vent se maintiendra
finalement une grosse semaine au dessus de 25 nœuds, grimpant jusqu’à
35. Ataram file, jamais en dessous de 7 nœuds, et nous devenons des
obsédés de la moyenne et de la meilleure pointe de vitesse.
On barre maintenant plus de la moitié du temps, autant par nécessité
que par plaisir. On se prend notre première déferlante,
qui vient remplir le cockpit en inondant Pierre qui barre. Les hublots
des cabines donnant sur le cockpit sont bien entendu ouverte, et un peu
de Pacifique s’insinue, une fois de plus, dans les couchettes de Pierre
et Eric.
Mais on ne battra pas
le record de la traversée, le vent s’endort à l’approche
des Marquises ; la mer résiduelle est très très brouillon.
Il est toujours aussi difficile de faire autre chose que de lire et de
dormir, et barrer est devenu beaucoup moins drôle.
Quelque jours plus
tard, Rémi est convoqué sur le pont pour nous donner une
chance d’avancer dans la pétole. On a encore le temps de découvrir
le soin que nous mettions à surveiller l’évolution de la
pression atmosphérique, était quelque peu vain : nous apprenons
au hasard de nos lectures météo que des variations de 3 mb
peuvent êtres dues, dans les parages où nous nous trouvons,
à un phénomène cyclique, les marées barométriques,
qui sont particulièrement fortes ici. Première entaille
dans notre diplôme tout neuf de météorologue.
Plus dur, on constate bientôt que notre baromètre obéit
à l’utilisateur : tapez à gauche, il descend, tapez à
droite, il monte…Désespérés, on perd la foi mise en
cet instrument depuis quelques semaines…
Heureusement, les conditions
sont maintenant tout-à-fait clémentes. L’observation du ciel
n’est plus qu’un passe-temps. La pêche a repris, la fabrication
de gâteau et de pain est maintenant journalière. Les
ataramiens perdent leurs carcasses faméliques dues à une
sous-alimentation involontaire et s’engraissent à vue d’œil.
Le seul exercice physique pour compenser cet afflux de calories sont les
incessants affalages et hissages de spi qui rythment nos journées.
Pour se dépenser, on s’offre d’ailleurs quelques beaux ratés,
Rémi partant en drapeau tout au-dessus du mât. Une chaussette
ne serait décidément pas inutile, on pourrait manger nos
pancakes tranquilles.
Après 20 jours
de mer, on arrive aux Marquises sous spi, dans des conditions de rêve.
On voit de très loin ces sommets tapissés de vert, Motane
droit devant, Fatu Hiva sur babord, Tahuta et Hiva Oa, où nous allons,
légèrement sur tribord. En début d’après-midi,
nous sommes mouillés sur deux ancres ( une à o'avant et une
à l'arrière) dans le port d’Atuona. C’est beau.
On n'est pas seul à faire le constat d’ailleurs : le port est embouteillé.
Et on nous dit que c’était pire la semaine précédente
!