Journée du 27 Mars 98 Départ : La Romana (République dominicaine)
 
Nuit courte qui s'achève comme elle a commencé : dans le fracas des trains de canne à sucre qui passent sur le pont sous lequel Ataram est mouillé. 

Adieux ! Les derniers visiteurs antillais s'en vont... D'abord Marc, Quentin et Isabelle, puis Patricia, qui nous vole donc Philippe pour deux jours (en principe, mais avec nous...). 

Treize heures. Dans une harmonie parfaite (mais si, mais si), Pierre, Eric et Ataram quittent ce mouillage qui avait mobilisé quatorze bras pour être pris. La sortie du Rio Romana nécessite de pousser Perkins plus que ne le tolère habituellement le chef mécanicien Germeau, tellement le courant est fort avec la houle de face. 

On s'habitue très vite au sublime. Mille excuses pour ce cliché stupide, c'est, malheureusement pour moi (qui reste auteur anonyme), la réflexion qui m'est venue tout à l'heure. Nous réfléchissions à la manière de contourner Isla Catalina, à la sortie de la Romana, et nous ne voyions cette île que comme un obstacle sur notre route. Or de tels obstacles, nous en avons rêvé avant de partir : sable blanc, cocotier et coraux qui doivent abriter une faune sous-marine superbe. Isla Catalina mériterait sans doute quelques jours d'arrêt, comme tant et tant de lieux que nous laissons dans notre sillage. Mais nous sommes décidé à arriver "vite" dans le Grand Océan, là où, nous disent nos amis tour-du-mondistes, tout est différents...18 mois pour tout voir...On reviendra aux Antilles, c'est déjà clair pour nous. Mais c'est plus proche, donc plus facile. 

Quinze heures. Deux heures de navigation tranquille sont bientôt pertubées par le répétiteur du GPS, qui tombe en rade. Histoire de passer le temps, on commence à le démonter...De plus en plus loin, jusqu'à arriver aux circuits imprimés. Perplexité de Pierre et Eric, qui ne sont pas précisément des électroniciens. Idée géniale de Pierre : on pourrait toujours souffler sur le circuit avec le petit soufflet fourni avec la caméra JVC. Eric, qui n'a pas les compétences pour proposer mieux, se met à souffleter la pièces, hilare. Les cinq premières minutes n'ont rigoureusement aucun effet. Comme on est sur un bateau, et qu'on est censé avoir le temps, le comique continue. Et...ben oui vous avez compris : miracle bien sûr ! Du liquide sort d'on ne sait où : la panne classique de l'électricité sur un bateau : l'humidité. A force de soufflet, elle paraît délogée. Test : ça fonctionne ! Reste à tout remonter...Pas si facile puisqu'il s'agit d'un boitier qui est à l'extérieur, exposé aux intempéries , d'où joints, silicone etc... Quand tout est fini, l'appareil...ne fonctionne plus! 

Pendant ce temps, Ataram fait la course avec des nuages qui l'entourent presque complètement. Seule éclaircie : droit devant, là où on va. Pendant nos bidouillages, Ataram, mal aidé par Gilles L. (petit rappel : c'est désormais le nom de notre pilote automatique), a perdu la course. On est sous les nuages, qui couvrent presque tout le ciel... 

Le vent tourne d'à peu près 90° et monte à 26-27 noeuds. On modifie le cap, on prend des tours de génois. C'est fichu, nous n'irons pas en ligne droite jusq'au Cabo Beata. 

Têtus, nous repartons à l'assaut de notre répétiteur, laissant Gilles barrer malgré le vent qui monte. Il se débrouille bien. Notre tâche est plus fastidieuse, car profondément empreinte d'incertitude dans notre chef. Barrer sur un cap, on sait faire aussi (en temps normal, et pour les deux tiers d'entre nous, en tout cas....), mais comprendre pourquoi ce damné répétiteur connaît une nouvelle panne, différente de celle qu'il connaissait avant, ça c'est moins notre rayon. Nous avons certes une intuition, que sans doute le lecteur partage : si c'est nouveau depuis qu'on y a touché, c'est nous. Et bien gagné, on a arraché un tout petit fil de rien du tout qui transmet soit disant des informations importantes. Bon, dénudage, remontage, recollage, rejointage, resiliconage, revissage, rallumage : ça fonctionne. 

Sur ces entrefaits, nous avons trouvé mieux que les nuages qui sont au-dessus de nous : ceux qui stationnent au dessus d'Hispaniola sont noirs, énormes, et génèrent des éclairs hallucinants. Comme ce ciel noir est venu de l'océan, croisant notre route derrière nous, nous sommes perplexes (pour la deuxième fois aujourd'hui, ça va devenir un état permanent !) quant à la direction qu'il va prendre. Il nous semble que l'on est mieux avec nos petits nuages gris que sous de telles masses noires, et quand ceux-ci s'en vont vers le large, nous empannons et les suivons (les petits gris, donc). Nous espérons éviter l'orage, qui en mer est relativement dangereux pour un bateau. Le mât, en métal, fait paratonnerre, et la foudre traverse le bateau en grillant tout sur son passage. Sur un bateau en plastique, le matériel qui est sûr de souffrir, c'est l'électricité et donc, l'électronique. Tous les bateaux qui se sont pris de la foudre ont perdu toute leur électronique, même parfois quand elle était débranchée. L'autre danger, c'est l'incendie, avec bien sûr l'électrocution des passagers. De toutes les façons, nous ne voulons pas perdre notre répététiteur qui refonctionne, donc pas question d'éclairs. 

Après avoir empanné, nous nous préparons un délicieux chili con carne. Nous traînons un peu à l'intérieur. Au bout d'un moment, il nous sembe raisonnable de réempanner, pour revenir sur notre cap. On sort pour agir, pour se rendre compte qu'il n'y a plus de grand voile à empanner. Elle pend lamentablement. La drisse a cassé, apparemment en tête de mât. Heureusement, une solution de rechange est existe : notre balancine est prévue pour faire office de drisse, elle peut donc remplacer la première. On se met au travail. C'est évidemment plus chiant de nuit dans la houle avec plus de 25 noeuds de vent, mais c'est faisable. Le plus impressionnant, c'est le spectalcle tout autour de nous : l'orage ou plutôt les orages nous entourent de presque tous les côtés, ils sont partout sauf au dessus d'Ataram.  Les éclairs sont très impressionnants. Pour le moment, nous sommes assez loin pour ne pas avoir droit au vacarme. Seul le vent, qui augmente, se fait entendre. Cela nous incite à prendre un ris profitant du changement de drisse. 

Extraits du livre de bord que l'on doit annoter heure par heure :" on prend un ris pour anticiper la crasse qui finira bien par nous tomber dessus puisqu'elle est partout". A 20 h 35 : "les éclairs nous entourent sur 270 °. On file à 8 nds (noeuds ) sous 1 ris, génois vers le 250° vrai , où semble passer le centre de l'orage. Notre pari est que celui-ci va se déplacer dans le sens du vent; comme nous sommes au travers, au aura, au pire, la "trainée" des éclairs résiduels qui est pour le moment sur notre tribord. Wait and see".  

L'orage est incroyable, et notre appréhension est bien moindre que la fascination que nous éprouvons. Le ciel s'illumine sur tout l'horizon à présent. Aucun de nous ne s'arrache à la contemplation pour prendre son quart de sommeil. Il nous faut encore une heure de spectacle pour nous décider à entamer des quarts de trois heures.  

 

Suite au prochain numéro...