Nuit
courte qui s'achève comme elle a commencé : dans le fracas
des trains de canne à sucre qui passent sur le pont sous lequel
Ataram est mouillé.
Adieux ! Les
derniers visiteurs antillais s'en vont... D'abord Marc, Quentin et Isabelle,
puis Patricia, qui nous vole donc Philippe pour deux jours (en principe,
mais avec nous...).
Treize heures.
Dans une harmonie parfaite (mais si, mais si), Pierre, Eric et Ataram quittent
ce mouillage qui avait mobilisé quatorze bras pour être pris.
La sortie du Rio Romana nécessite de pousser Perkins plus que ne
le tolère habituellement le chef mécanicien Germeau, tellement
le courant est fort avec la houle de face.
On s'habitue
très vite au sublime. Mille excuses pour ce cliché stupide,
c'est, malheureusement pour moi (qui reste auteur anonyme), la réflexion
qui m'est venue tout à l'heure. Nous réfléchissions
à la manière de contourner Isla Catalina, à la sortie
de la Romana, et nous ne voyions cette île que comme un obstacle
sur notre route. Or de tels obstacles, nous en avons rêvé
avant de partir : sable blanc, cocotier et coraux qui doivent abriter une
faune sous-marine superbe. Isla Catalina mériterait sans doute quelques
jours d'arrêt, comme tant et tant de lieux que nous laissons dans
notre sillage. Mais nous sommes décidé à arriver "vite"
dans le Grand Océan, là où, nous disent nos amis tour-du-mondistes,
tout est différents...18 mois pour tout voir...On reviendra aux
Antilles, c'est déjà clair pour nous. Mais c'est plus proche,
donc plus facile.
Quinze heures.
Deux heures de navigation tranquille sont bientôt pertubées
par le répétiteur du GPS, qui tombe en rade. Histoire de
passer le temps, on commence à le démonter...De plus en plus
loin, jusqu'à arriver aux circuits imprimés. Perplexité
de Pierre et Eric, qui ne sont pas précisément des électroniciens.
Idée géniale de Pierre : on pourrait toujours souffler sur
le circuit avec le petit soufflet fourni avec la caméra JVC. Eric,
qui n'a pas les compétences pour proposer mieux, se met à
souffleter la pièces, hilare. Les cinq premières minutes
n'ont rigoureusement aucun effet. Comme on est sur un bateau, et qu'on
est censé avoir le temps, le comique continue. Et...ben oui vous
avez compris : miracle bien sûr ! Du liquide sort d'on ne sait où
: la panne classique de l'électricité sur un bateau : l'humidité.
A force de soufflet, elle paraît délogée. Test : ça
fonctionne ! Reste à tout remonter...Pas si facile puisqu'il s'agit
d'un boitier qui est à l'extérieur, exposé aux intempéries
, d'où joints, silicone etc... Quand tout est fini, l'appareil...ne
fonctionne plus!
Pendant ce temps,
Ataram fait la course avec des nuages qui l'entourent presque complètement.
Seule éclaircie : droit devant, là où on va. Pendant
nos bidouillages, Ataram, mal aidé par Gilles L. (petit rappel :
c'est désormais le nom de notre pilote automatique), a perdu la
course. On est sous les nuages, qui couvrent presque tout le ciel...
Le vent tourne
d'à peu près 90° et monte à 26-27 noeuds. On modifie
le cap, on prend des tours de génois. C'est fichu, nous n'irons
pas en ligne droite jusq'au Cabo Beata.
Têtus,
nous repartons à l'assaut de notre répétiteur, laissant
Gilles barrer malgré le vent qui monte. Il se débrouille
bien. Notre tâche est plus fastidieuse, car profondément empreinte
d'incertitude dans notre chef. Barrer sur un cap, on sait faire aussi (en
temps normal, et pour les deux tiers d'entre nous, en tout cas....), mais
comprendre pourquoi ce damné répétiteur connaît
une nouvelle panne, différente de celle qu'il connaissait avant,
ça c'est moins notre rayon. Nous avons certes une intuition, que
sans doute le lecteur partage : si c'est nouveau depuis qu'on y a touché,
c'est nous. Et bien gagné, on a arraché un tout petit fil
de rien du tout qui transmet soit disant des informations importantes.
Bon, dénudage, remontage, recollage, rejointage, resiliconage, revissage,
rallumage : ça fonctionne.
Sur ces entrefaits,
nous avons trouvé mieux que les nuages qui sont au-dessus de nous
: ceux qui stationnent au dessus d'Hispaniola sont noirs, énormes,
et génèrent des éclairs hallucinants. Comme ce ciel
noir est venu de l'océan, croisant notre route derrière nous,
nous sommes perplexes (pour la deuxième fois aujourd'hui, ça
va devenir un état permanent !) quant à la direction qu'il
va prendre. Il nous semble que l'on est mieux avec nos petits nuages gris
que sous de telles masses noires, et quand ceux-ci s'en vont vers le large,
nous empannons et les suivons (les petits gris, donc). Nous espérons
éviter l'orage, qui en mer est relativement dangereux pour un bateau.
Le mât, en métal, fait paratonnerre, et la foudre traverse
le bateau en grillant tout sur son passage. Sur un bateau en plastique,
le matériel qui est sûr de souffrir, c'est l'électricité
et donc, l'électronique. Tous les bateaux qui se sont pris de la
foudre ont perdu toute leur électronique, même parfois quand
elle était débranchée. L'autre danger, c'est l'incendie,
avec bien sûr l'électrocution des passagers. De toutes les
façons, nous ne voulons pas perdre notre répététiteur
qui refonctionne, donc pas question d'éclairs.
Après
avoir empanné, nous nous préparons un délicieux chili
con carne. Nous traînons un peu à l'intérieur. Au bout
d'un moment, il nous sembe raisonnable de réempanner, pour revenir
sur notre cap. On sort pour agir, pour se rendre compte qu'il n'y a plus
de grand voile à empanner. Elle pend lamentablement. La drisse a
cassé, apparemment en tête de mât. Heureusement, une
solution de rechange est existe : notre balancine est prévue pour
faire office de drisse, elle peut donc remplacer la première. On
se met au travail. C'est évidemment plus chiant de nuit dans la
houle avec plus de 25 noeuds de vent, mais c'est faisable. Le plus impressionnant,
c'est le spectalcle tout autour de nous : l'orage ou plutôt les orages
nous entourent de presque tous les côtés, ils sont partout
sauf au dessus d'Ataram. Les éclairs sont très impressionnants.
Pour le moment, nous sommes assez loin pour ne pas avoir droit au vacarme.
Seul le vent, qui augmente, se fait entendre. Cela nous incite à
prendre un ris profitant du changement de drisse.
Extraits
du livre de bord que l'on doit annoter heure par heure :" on prend un ris
pour anticiper la crasse qui finira bien par nous tomber dessus puisqu'elle
est partout". A 20 h 35 : "les éclairs nous entourent sur 270 °.
On file à 8 nds (noeuds ) sous 1 ris, génois vers le 250°
vrai , où semble passer le centre de l'orage. Notre pari est que
celui-ci va se déplacer dans le sens du vent; comme nous sommes
au travers, au aura, au pire, la "trainée" des éclairs résiduels
qui est pour le moment sur notre tribord. Wait and see".
L'orage est incroyable,
et notre appréhension est bien moindre que la fascination que nous
éprouvons. Le ciel s'illumine sur tout l'horizon à présent.
Aucun de nous ne s'arrache à la contemplation pour prendre son quart
de sommeil. Il nous faut encore une heure de spectacle pour nous décider
à entamer des quarts de trois heures.
Suite au prochain numéro...