On
se fait réveiller, vers 6h du matin, par les petites barques de
pêcheurs qui s'en reviennent de leur nuit de pêche. Ils
passent tout près d'Ataram; très intrigué par cette
présence insolite devant de leur village. Il faut dire que
l'on est loin des routes touristiques et que les rares bateaux étrangers
qu'ils voient sont souvent de gros paquebots venus s'abriter lorsque la
mer est trop forte.
Une bande de
gosses nous acostent, pour savoir d'où on vient; où on va,
comment on s'appelle, etc... etc... On répond patiemment à
toutes leurs questions et on leur en pose quelques unes sur leur village
et ce qu'on peut y trouver.
On décide d'aller à
terre, non sans avoir averti les gosses que, contrairement aux apparences,
nous n'étions pas deux mais trois sur le bateau, mais que le troisième,
Philippe, dormait à l'intérieur et qu'il ne fallait surtout
pas le réveiller.
A terre, tout
le monde nous observe comme des bêtes curieuses; on est décidément
très loin de tout circuit touristique. Dire que la ville est
peu développée est un euphémisme. Les routes
sont en terre, sauf quelques grandes artères; les maisons sont souvent
de simples huttes en bambou ou en terre séchée.
En plus, vu l'endroit où nous avons mouillé, nous débarquons
dans la partie la plus pauvre de la ville, qui est, à son échelle,
son bidonville. Quand nous apprendrons que les seuls autres blancs
dans la ville sont queques religieux canadiens, qui sans doute ne s'aventurent
pas souvent dans ces quartiers, nous comprendrons l'étonnement que
nous suscitons. Notre confiance apparente paye, nous n'aurons absolument
aucun problème, et retrouverons intacte notre annexe que nous avions
laissée sur la plage.
Nous cherchons
quelque temps la douane et les autorités portuaires mais rien de
tout cela n'existe ici. On se met alors en quête d'une banque
mais, là encore on nous regarde avec un drôle d'air. On hésite
un peu avant de demander où est le shipchandler le plus proche mais
on décide de renoncer, vu le succè très mitigé
que nous avons obtenu jusqu'alors.
Ce qui nous frappe tout de suite,
c'est le nombre d'écoles; nous en verrons plus d'une bonne vingtaine
pour une population de quelques milliers d'habitants seulement (nous apprendrons
plus tard que ces écoles sont payantes, et considérées
comme de véritable entreprises, constituant une source de
revenu appréciable pour leur directeur-propritaire). Chacune
impose un uniforme à ses élèves, et lors de notre
promenade dans la ville, nous croisons des dizaines d'écoliers et
écolières de tous âges s'en allant vers leurs lycées
arborant avec fierté leurs couleurs distinctives.
Après
avoir fait quelques fois le tour du village on s'en retourne sur Ataram
où quelques travaux nous attendent. La petite bande de gamins
est toujours là, silencieuse, pour ne pas réveiller Philippe.
On leur demande de nous laisser un peut tranquille et de revenir nous voir
vers midi. Ca nous laisse un peu de temps pour réparer la
drisse de grand voile. Pour ce faire, Eric commence par monter en
tête de mât pour voir ce qui s'est exactement passé.
Il constate que la drisse s'est rompue et qu'elle est donc tombée
dans le mât ... Il va donc falloir que, de là où
il se trouve, il fasse descendre un petit bout à l'intérieur
du mât et que Pierre, resté courageusement sur le pont, attrape
ledit bout pour l'accrocher à la drisse. Eric pourra alors
remonter la drisse; la faire passer dans la poulie située au sommet
du mât pour enfin pouvoir réacrocher la grand voile.
Tout ça nous occupe jusqu'à 11h, heure à laquelle
les petits monstres qui avaient promis de ne pas revenir avant midi, débarquent
et envahissent à nouveau Ataram, en nous demandant si Philippe s'est
enfin réveillé. Là, Pierre est bien obligé
de leur fournir une explication. Philippe sera décrit comme
étant en réalité le couteau pendu au salon, qui garde
et préserve Ataram des mauvais esprits ... Explication qui paraît
satisfaisante à nos hôtes, et nous semble même emporter
leur approbation.
Nous décidons
de tirer profit de nos "envahisseurs" en leur demandant de nous donner
quelques leçons de créole. Il s'agit d'une langue empruntant
des mots à la langue française et à l'anglais,
dont la grammaire est relativement simplifiée par rapport à
la nôtre. Eric et Pierre, sous le charme de ce parlé
savoureux apprennent vite quelques mots. "Komen ou yé ? Mwen pa
pli mal" étant l'équivalent de notre "comment tu vas"; le
"bien une fois" étant donc remplacé par "moi pas plus mal".
Sympa non ? Allez, on vous offre un
petit cours de créole en hyperlien.
On entre
en contact avec Philippe (le vrai, pas le couteau); il arrive ce soir,
en provenance de Port-au-Prince, avec Renaud, un ami qui travaille en Haïti
pour les Nations Unies.
Vers 22h, Eric
et Pierre se rendent à la pompe à essence du village, lieu
de rendez-vous avec les deux autres. A 23h, il n'y a toujours personne
et, subitement, toutes les lumières se coupent. Le gardien
de la pompe nous explique que c'est normal, l'électricité
est coupée tous les soirs à cette heure. Il nous déconseille
fortement de rester là. Nous ne sommes quand même pas très
rassurés dans cette pénombre, au milieu de nulle part, dans
l'attente d'une hypothétique voiture; avec Ataram tout seul au mouillage
et notre annexe abandonnée sur le rivage du village.
Nos deux amis
arrivent finalement vers 11h 30. On embarque dans l'annexe, et on offre
une petite frayeur à nos amis en ne retrouvant pas tout de suite
Ataram, caché dans la pénombre d'un nuage qui masque la lune.
La nuit s'étire en papotage; nous n'avons plus vu Renaud depuis
longtemps, et les nouvelles de Belgique, petites et grandes, lui sont précieuses.
De plus, dans quelques heures départ à l'aube pour l'île
à vache...