Journée du 30 Mars 98 : La baie d'Aquin  (Haiti)
 
 On se fait réveiller, vers 6h du matin, par les petites barques de pêcheurs qui s'en reviennent de leur nuit de pêche.  Ils passent tout près d'Ataram; très intrigué par cette présence insolite devant de leur village.  Il faut dire que l'on est loin des routes touristiques et que les rares bateaux étrangers qu'ils voient sont souvent de gros paquebots venus s'abriter lorsque la mer est trop forte.  

Une bande de gosses nous acostent, pour savoir d'où on vient; où on va, comment on s'appelle, etc... etc... On répond patiemment à toutes leurs questions et on leur en pose quelques unes sur leur village et ce qu'on peut y trouver.  

On décide d'aller à terre, non sans avoir averti les gosses que, contrairement aux apparences, nous n'étions pas deux mais trois sur le bateau, mais que le troisième, Philippe, dormait à l'intérieur et qu'il ne fallait surtout pas le réveiller.  

A terre, tout le monde nous observe comme des bêtes curieuses; on est décidément très loin de tout circuit touristique.  Dire que la ville est peu développée est un euphémisme.  Les routes sont en terre, sauf quelques grandes artères; les maisons sont souvent de simples huttes en bambou ou en terre séchée.   En plus, vu l'endroit où nous avons mouillé, nous débarquons dans la partie la plus pauvre de la ville, qui est, à son échelle, son bidonville.  Quand nous apprendrons que les seuls autres blancs dans la ville sont queques religieux canadiens, qui sans doute ne s'aventurent pas souvent dans ces quartiers, nous comprendrons l'étonnement que nous suscitons.  Notre confiance apparente paye, nous n'aurons absolument aucun problème, et retrouverons intacte notre annexe que nous avions laissée sur la plage.   

Nous cherchons quelque temps la douane et les autorités portuaires mais rien de tout cela n'existe ici.  On se met alors en quête d'une banque mais, là encore on nous regarde avec un drôle d'air. On hésite un peu avant de demander où est le shipchandler le plus proche mais on décide de renoncer, vu le succè très mitigé que nous avons obtenu jusqu'alors.  

Ce qui nous frappe tout de suite, c'est le nombre d'écoles; nous en verrons plus d'une bonne vingtaine pour une population de quelques milliers d'habitants seulement (nous apprendrons plus tard que ces écoles sont payantes, et considérées comme de véritable entreprises, constituant  une source de revenu appréciable pour leur directeur-propritaire).  Chacune impose un uniforme à ses élèves, et lors de notre promenade dans la ville, nous croisons des dizaines d'écoliers et écolières de tous âges s'en allant vers leurs lycées arborant avec fierté leurs couleurs distinctives. 

Après avoir fait quelques fois le tour du village on s'en retourne sur Ataram où quelques travaux nous attendent.  La petite bande de gamins est toujours là, silencieuse, pour ne pas réveiller Philippe.  On leur demande de nous laisser un peut tranquille et de revenir nous voir vers midi.  Ca nous laisse un peu de temps pour réparer la drisse de grand voile.  Pour ce faire, Eric commence par monter en tête de mât pour voir ce qui s'est exactement passé.  Il constate que la drisse s'est rompue et qu'elle est donc tombée dans le mât ...  Il va donc falloir que, de là où il se trouve, il fasse descendre un petit bout à l'intérieur du mât et que Pierre, resté courageusement sur le pont, attrape ledit bout pour l'accrocher à la drisse.  Eric pourra alors remonter la drisse; la faire passer dans la poulie située au sommet du mât pour enfin pouvoir réacrocher la grand voile.  Tout ça nous occupe jusqu'à 11h, heure à laquelle les petits monstres qui avaient promis de ne pas revenir avant midi, débarquent  et envahissent à nouveau Ataram, en nous demandant si Philippe s'est enfin réveillé.  Là, Pierre est bien obligé de leur fournir une explication.  Philippe sera décrit comme étant en réalité le couteau pendu au salon, qui garde et préserve Ataram des mauvais esprits ... Explication qui paraît satisfaisante à nos hôtes, et nous semble même emporter leur approbation. 

Nous décidons de tirer profit de nos "envahisseurs" en leur demandant de nous donner quelques leçons de créole.  Il s'agit d'une langue empruntant  des mots à la langue française et  à l'anglais, dont la grammaire est relativement simplifiée par rapport à la nôtre.  Eric et Pierre, sous le charme de ce parlé savoureux apprennent vite quelques mots. "Komen ou yé ? Mwen pa pli mal" étant l'équivalent de notre "comment tu vas"; le "bien une fois" étant donc remplacé par "moi pas plus mal".  Sympa non ?  Allez, on vous offre un petit cours de créole en hyperlien. 

On  entre en contact avec Philippe (le vrai, pas le couteau); il arrive ce soir, en provenance de Port-au-Prince, avec Renaud, un ami qui travaille en Haïti pour les Nations Unies.  

Vers 22h, Eric et Pierre se rendent à la pompe à essence du village, lieu de rendez-vous avec les deux autres.  A 23h, il n'y a toujours personne et, subitement, toutes les lumières se coupent.  Le gardien de la pompe nous explique que c'est normal, l'électricité est coupée tous les soirs à cette heure.  Il nous déconseille fortement de rester là. Nous ne sommes quand même pas très rassurés dans cette pénombre, au milieu de nulle part, dans l'attente d'une hypothétique voiture; avec Ataram tout seul au mouillage et notre annexe abandonnée sur le rivage du village.   

Nos deux amis arrivent finalement vers 11h 30. On embarque dans l'annexe, et on offre une petite frayeur à nos amis en ne retrouvant pas tout de suite Ataram, caché dans la pénombre d'un nuage qui masque la lune.  La nuit s'étire en papotage; nous n'avons plus vu Renaud depuis longtemps, et les nouvelles de Belgique, petites et grandes, lui sont précieuses.  De plus, dans quelques heures départ à l'aube pour l'île à vache...