Journées du 20 octobre au 23 octobre : Pitcairn
 
 
A 6 heures, le soleil est levé depuis une heure, et on a assez admiré les couleurs ocres, vertes et noires mêlées de cette île volcanique recouverte d’herbe et de petits arbres.  On prend le risque d’éveiller Adamstown.  Réponse immédiate, on nous confirme que nous avons de la chance : nous pouvons débarquer dans Bounty Bay, point de débarquement habituel, mais qui a été très exposé au vent et à la houle ces derniers temps.  Nous pourrons même négliger de laisser quelqu’un pour veiller sur le bateau, précaution nécessaire d’habitude.  Depuis la falaise, on nous guide jusqu’au point de mouillage.  Pour pimenter l’arrivée, notre ami le guideau se bloque.  Mais les conditions sont réellement clémentes, et on a le temps de rattraper la sauce. Nous voilà mouillés devant l’île mythique, le caillou des mutinés de la Bounty !  On est heureux ! 

Sur la base des récits recueillis, il nous paraît plus prudent de demander qu’un bateau vienne nous chercher.  Le débarquement n’est pas aisé, même par beau temps : c’est ce que nous ont confirmé Claude et Margot, notamment, qui ont offert un beau spectacle aux Pitcairners il y quinze jours en essayant de débarquer seuls : la première fois, il ont chaviré avec leur chaloupe ; la seconde fois, en panne de moteur, ils ont cassé une rame.  Et les deux fois, ils ont donc dû être aidé par les locaux… Autant leur demander tout de suite assistance, pensons-nous.  On assiste donc à la mise à l’eau d’un canot aluminium qui vient nous embarquer.   

Sur le quai nous attendent toutes les autorités de l’île : le "magistrate", chef de la communauté élu pour trois ans, l’agent(e) de police, le pasteur, et deux représentants de la communauté.  Souhaits de bienvenue, et nous voilà parti vers le village, chacun à l’arrière d’un quad, "moto" à quatre roues parfaitement adaptée aux chemins de terre de l’île, aux dénivelés impressionnants.  Nous sommes accueilli comme en famille chez le magistrate, Jay Warren et sa femme Caroll.  Pendant que l’agent de police orne nos passeport du visa de Pitcairn, nous remplissons le livre d’or des yachts de passage, et nous faisons connaissance avec nos hôtes.   

John, le pasteur, d’origine chinoise se propose ensuite de nous emmener visiter l’île.  Nous nous rendons d’abord au bureau de poste, ouvert pour nous, pour acheter les merveilles philatéliques de Pitcairn.  Les émissions de timbres, très prisés des collectionneurs du monde entier sont une des sources de revenus de Pitcairn.  A coté de la poste, sur la place centrale où trône une ancre de la Bounty, « l’hôtel de ville » et l’église.  Plus bas (car la ville est construite sur une pente), l’infirmerie, tenue par la femme de John.  Près de là, nous retrouvons Graham et tout l’équipage du Te Manu.  Dave, l’habitué de Pitcairn, propose de nous accompagner dans la visite de l’île. 

Nous voilà donc parti, à deux sur chaque quad, pour une chevauchée sauvage…  L’île nous étonne par la variété des paysages.  Les points de vue impressionnants ne manquent pas, et du haut des collines, nous apercevons le brave Ataram, qui roule dans Bounty bay, deux cent mètres plus bas.  Nous visitons toute l’île en quelques heures, puis nos guides nous laissent au dessus de la ville, pour nous permettre d’y rentrer à pied.  La ballade est évidemment propice aux rencontres, et nous bavardons avec tout le monde.  Nous rencontrons notamment Hendrik, jeune allemand arrivé depuis neuf mois sur l’île avec sa famille, pour « vivre autre chose ».  Nous visitons aussi la jolie école. 

L’après-midi, John nous propose une plongée sur la Bounty.  Les conditions météos n’autorisent que très rarement cette plongée, il nous faut donc profiter de notre chance !  On demande un bateau pour aller chercher tout le matériel sur Ataram, on se prépare, et l’on apprend que les restes de la Bounty reposent par quatre mètres de fond ! Bah, va pour le ridicule, et puis cela permet de ne pas devoir s’échanger nos bouteilles, le troisième (Pierre) ira en apnée. Il aura d’ailleurs la vie plus facile que ses camarades, encombrés de tout leur matos dans la houle qui secoue l’endroit.  Mais on peut le dire désormais : on a vu la Bounty.  Bien sûr, après avoir été fracassé sur les récifs, brûlée et coulée, et avoir passé deux cent ans sous l’eau, elle n’a plus grand chose à montrer.  Restent les ballasts en acier, quelques boulets, et un canon.  Mais qu’a cela ne tienne, on a vu la Bounty ! 

Le soir, on mange tous chez Jay et Caroll.  Mais pour la nuit, deux d’entre nous doivent retourner à bord, au cas où les conditions se détérioreraient.  Ceux qui ont le plus envie gagnent : Philippe et Jean-Luc veilleront sur le bateau.  Randy les ramène.  Pierre et Eric dormiront chez Jay.  Mais ce soir, il y a conseil exceptionnel, nous sommes donc confié à Charles Christian, le père de Caroll, qui descend tout droit de Fletcher.  Charles nous emmène au cinéma ! On va voir « Titanic » chez un copain qui a une installation digne des petits cocons bruxellois.  Plusieurs autres pitcairners profitent de la projection, dans une ambiance grande famille qui s’épanouit à « l’entracte », devant les petits gâteaux.  

Au retour, le magistrate et sa femme, conseillère, nous mettent dans les confidences du conseil.  Un sujet grave agite l’île : le projet de construction d’un aéroport (enfin, d’un terrain d’aviation) qui mettrait fin à l’isolation qui éloigne aujourd’hui les enfants, qui vont chercher un avenir ailleurs, et ne reviennent plus, devant les difficultés du voyage. Deux projets concurrents se disputent les faveurs des habitants. L’un est mené par nos amis Graham et Dave, qui ne nous avaient donc pas tout dit de leurs projets touristiques.  L’autre aurait le soutien du gouvernement et d’un riche investisseur.  Il semble que malgré une décision antérieure relativement claire, qui les excluaient de la partie « construction » de la piste (mais pas de l’établissement d’un service de liaison aérienne), Dave et Graham soient revenus à la charge dès leur arrivée ici il y a quelques jours.  Le conseil avait pour objet de mettre les points sur les i.  Curieux pour nous d’être mêlé à ces histoires… Mais très intéressant pour comprendre le fonctionnement de la petite démocratie pitcairnaise.  On ne se refait pas, Pierre et Eric vont passer quelques heures à examiner les codes de lois de Pitcairn.   Tout à fait complets, ils règlent tous les aspects de la vie sur l’île, depuis l’usage des bateaux « publics », à l’élevage des animaux, la consommation d’alcool, la pêche, le travail public, le code de la route etc, en passant bien sûr par le code pénal, le code judiciaire et tout et tout.  Si par extraordinaire un point de droit n’était pas réglé par les textes de Pitcairn, la cour appliquerait par analogie le droit anglais.  Jay s’amuse de notre enthousiasme pour la loi !  Il y a une prison aussi, qui n'a servit qu'une fois, et encore, cette fois là, on n'a pu retrouver la clé,  et la porte n'a pu être verouillée. 

Le lendemain est journée d’excursion à pied.  Le matin, on va à Christian’s cave, une petite grotte où Fletcher avait l’habitude de se rendre pour méditer.  L’après-midi, nous allons nous baigner à la St Paul’s Pool, grands bassins creusés par la mer dans les rochers, protégés de la houle par une ceinture rocheuse subsistant.  Nos promenades sont entrecoupées de conversations avec les habitants.  On profite aussi du magasin coopératif, qui recèle, ô joie, du porridge et du Nutella.   

Les conditions n’ont pas beaucoup empiré.  Le vent tourne, mais lentement, et s’il a commencé a lever la mer dans Bounty bay, cela semble supportable. Les deux autres pourraient donc rester à terre.  Mais ils disent ne pas avoir envie (préfèreraient-ils partir ce soir, retrouver leurs douces qui les attendent au Chili ?)  Du coup, Pierre et Eric se portent à nouveau volontaire pour un petit cinéma.  Ce soir, film pédagogique, ils verront un film sur l’île. 

Le lendemain, adieux émouvants aux autorités de l’île.  Philippe et Jean-Luc n’ont pas trop bien dormi sur Ataram le rouleur.  On quitte le mouillage immédiatement, direction : l’île de Pâques. 

Le vent est plein est, 4 beaufort.  On est parti au près pour 1118 milles…