Hier, dès le
départ, Gilles (notre
pilote automatique, donc, distraits !) a fait des siennes.
Et que je fasse bipbipbip, que je refuse de garder le bateau au cap … Phil
et Eric, vieux habitués, ont cajolé un peu le Gilles qui
se sentait sans doute un peu délaissé. Téméraires,
les z’ataramiens n’hésitent plus aujourd’hui à démonter
même le cerveau du pilote (dite « central unit » par
le constructeur, qui ne donne qu’un conseil : n’y touchez pas, renvoyez
le à un représentant agréé de la marque…).
Après tout, ce n’est que de l’électricité en miniature.
On démonte, on nettoie, on remonte… Ca marche. Prenez-en de
la graine, terriens, et n’appelez plus votre plombier, électricien,
chauffagiste, garagiste à la moindre alerte ! Démontez,
démontez, si vous le pouvez, remontez ; ça produira toujours
un effet, plus d’une fois sur deux positif. Et puis, si ça
ne marche pas, il sera encore temps d’appeler au secours un de ces hommes
de l’art, qui aura en plus un prétexte pour vous engueuler.
Bon, nous on a pas a tergiverser, il y a peu de représentants Autohelm
dans le coin. Et puis ca occupe, une journée de passée.
Le 24 ressemble au
23 : brise évanescente dans le nez. Heureusement Ataram est
décidément un bon bateau de près. Il glisse
sur l’eau plate, doucement (très doucement même) mais régulièrement.
C’est les z’ataramiens qui ont plus de mal à supporter ce régime
quelque peu inactif. Jamais contents ! Des activités
s’organisent : Pierre va chez le coiffeur, confiant sa tignasse hirsute
à un artisan à quatre mains : Phil et Jean-Luc lui font un
petit « dégagé derrière les oreilles »
du meilleur effet. Eric grimpe au mât, histoire de voir si
notre réparation de l’enrouleur de génois a bien supporté
ces premiers milles. Il en revient moins certain de sa vocation d’équipier
n°1 dans la withbread (pour les non initiés : l’équipier
de l’avant dans la course autour du monde en équipage monte en tête
de mât par tout temps, même dans la grande houle du sud).
Jean-Luc, outre ses activités de coiffeur bénévole,
poursuit sa quête du graal : la découverte de la longitude.
Armé du sextant depuis le départ, il a commencé à
assimiler le principe de la méridienne (hauteur du soleil à
midi), et en a déterminé notre latitude. Mais la longitude
se fait désirer. C’est rien Jean-Luc, la race humaine s’est
heurtée au problème pendant plusieurs siècles, il
n’y a pas de raison que tu y arrives comme ça. Margot et Claude,
en route pour Valdivia, que nous contactons par BLU, sont d’humeur moqueuse
: ils ont découverts sur leur encyclopédie sur CD-Rom l’hymne
national belge, et plus grave, la hauteur du point culminant de notre petit
pays. Deux cent petits mètres de plus que le mont Duff, aux
Gambier, ça ne les impressionne pas…Et c’est ces gens là
que nous tentons de rejoindre ?
Le 25 aussi ressemble
au 23. Trop même, puisque le pilote refait des siennes. Donc
Eric fait du nettoyage, sous la supervision passive du maître du
courant. Et … ça marche. Pour combien de temps ?
Ah ça, c’est un des feuilletons d’Ataram. A suivre. Terriens,
prenez en de la graine, sur le métier toujours remettez votre ouvrage…
avant d’appeler l’homme de l’art.
26, 27, 28, 29, 30
et 31 se passent, de grains en grains, de pétole en pétole,
de coup de moteur en coup de moteur, de pokers mexicains en parties d’échec,
de leçons d’espagnol en whist… Plus de poisson, nos leurres
ne conviennent sans doute pas aux habitants sous-marins du coin (un ataramien
émettra la suggestion imagée que « peut être
que mettre ce type de leurres ici, c’est comme se déguiser en girafe
pour chasser le cerf en Finlande ? » Hmm. Claude et Margot
sont arrivés à Valdivia, il paraît que c’est très
beau.
Novembre voit revenir
un vent plus irrégulier. Mardi 3 novembre, on devrait voir
Rapa Nui, le nombril du monde. Mais il fait très nuageux,
rien sur l’horizon au lever du jour. A 7 heures, une tache dans le
gris : ça y est ! C’est Pâques à la Toussaint !
Pendant toute la matinée, l’île va disparaître dans
des nuages gris et bas. Le vent souffle assez fort, depuis l’île…Bienvenue
! Enfin, au moins, avec ce vent de sud-est, on peut mouiller dans la baie
de Cook, sur la côte ouest de l’île, devant la ville d’Hanga
Roa. On scrute l’île, la moindre tache est un moai, ha non,
c’est un buisson.
Les instructions nautiques
signalent un alignement, que l’on ne trouvera que le lendemain, à
terre. Nous sommes contacté par la Gobernacion maritima
; contact très cordial mais néanmoins très stict,
nous sommes convoqués dans deux heures pour les formalités
de douanes. Le reste du dialogue est un peu surréaliste, nous,
cherchant à savoir où nous pouvons mouiller exactement dans
un patois franco-anglo-espagnol, eux en castillan le plus pur, désolé
de ne pas comprendre nos questions. Finalement nous mouillons
par dix-huit mètres de fond, au milieu de la baie. On serait
tenté d’écrire au milieu de nulle part ; on a jamais
été aussi loin de la terre, mais il paraît que plus
près, il y a des roche immergées. On se fait l’effet
des cargos attendant le passage au canal de Panama, mouillés au
milieu de l’océan, ou presque. Toute notre chaîne y
passe (65 mètres d’acier de 12 mm), et on ajoutera encore du bout.
Il faudra que le guindeau fonctionne à l’appareillage. Et
dans l’immédiat, il faudrait que le moteur de l’annexe fonctionne…
Mais il daigne fonctionner.
Le débarquement est folklorique : on fonce vers une zone où
déferlent des rouleaux, sur lesquels on distingue des surfeurs.
Il faut attendre l’accalmie, et passer là où ça ne
casse pas trop, pour rejoindre la protection de quelques rochers, derrière
lequel se cache une petite cale pour les barques de pêcheurs.
A quatre dans notre annexe poussée par nos petits quatre chevaux,
on croise les surfeurs, qui attendent eux la vague qui nous retournerait…Hop
la yoo, ça ché chamais fu comme l’affirme notre camarade
alsacien (Jean-Luc est un strasbourgeois d’adoption). Mais ça
passe. Sur la cale, que dis-je, le port, on est accueilli par notre
premier colosse. Heureux, ils sont les z’ataramiens. Ils sont
arrivés à l’île de Pâques en bateau ! Un
rêve de plus qui s’accomplit.
Les formalités
sont dignes de l’arrivée d’un porte-conteneur. Les représentants
de pas moins de cinq autorités sont là (de la douane aux
autorités sanitaires en passant par l’immigration). Mais tout
se passe très bien, climat détendu et sympa. Les prévisions
météos sont encourageantes, pas de problèmes de mouillage
les premiers jours ! Pâques, à nous cinq !