Journées du 24 octobre au 3 novembre : Vers L'île de Pâques
 
 
Hier, dès le départ, Gilles (notre pilote automatique, donc, distraits !)  a fait des siennes.  Et que je fasse bipbipbip, que je refuse de garder le bateau au cap … Phil et Eric, vieux habitués, ont cajolé un peu le Gilles qui se sentait sans doute un peu délaissé.  Téméraires, les z’ataramiens n’hésitent plus aujourd’hui à démonter même le cerveau du pilote (dite « central unit » par le constructeur, qui ne donne qu’un conseil : n’y touchez pas, renvoyez le à un représentant agréé de la marque…).  Après tout, ce n’est que de l’électricité en miniature.  On démonte, on nettoie, on remonte… Ca marche.  Prenez-en de la graine, terriens, et n’appelez plus votre plombier, électricien, chauffagiste, garagiste à la moindre alerte !  Démontez, démontez, si vous le pouvez, remontez ; ça produira toujours un effet, plus d’une fois sur deux positif.  Et puis, si ça ne marche pas, il sera encore temps d’appeler au secours un de ces hommes de l’art, qui aura en plus un prétexte pour vous engueuler.  Bon, nous on a pas a tergiverser, il y a peu de représentants Autohelm dans le coin.  Et puis ca occupe, une journée de passée. 

Le 24 ressemble au 23 : brise évanescente dans le nez.  Heureusement Ataram est décidément un bon bateau de près.  Il glisse sur l’eau plate, doucement (très doucement même) mais régulièrement.  C’est les z’ataramiens qui ont plus de mal à supporter ce régime quelque peu inactif.  Jamais contents !  Des activités s’organisent : Pierre va chez le coiffeur, confiant sa tignasse hirsute à un artisan à quatre mains : Phil et Jean-Luc lui font un petit « dégagé derrière les oreilles » du meilleur effet.  Eric grimpe au mât, histoire de voir si notre réparation de l’enrouleur de génois a bien supporté ces premiers milles.  Il en revient moins certain de sa vocation d’équipier n°1 dans la withbread (pour les non initiés : l’équipier de l’avant dans la course autour du monde en équipage monte en tête de mât par tout temps, même dans la grande houle du sud).  Jean-Luc, outre ses activités de coiffeur bénévole, poursuit sa quête du graal : la découverte de la longitude.  Armé du sextant depuis le départ, il a commencé à assimiler le principe de la méridienne (hauteur du soleil à midi), et en a déterminé notre latitude. Mais la longitude se fait désirer.  C’est rien Jean-Luc, la race humaine s’est heurtée au problème pendant plusieurs siècles, il n’y a pas de raison que tu y arrives comme ça.  Margot et Claude, en route pour Valdivia, que nous contactons par BLU, sont d’humeur moqueuse : ils ont découverts sur leur encyclopédie sur CD-Rom l’hymne national belge, et plus grave, la hauteur du point culminant de notre petit pays.  Deux cent petits mètres de plus que le mont Duff, aux Gambier,  ça ne les impressionne pas…Et c’est ces gens là que nous tentons de rejoindre ? 

Le 25 aussi ressemble au 23.  Trop même, puisque le pilote refait des siennes. Donc Eric fait du nettoyage, sous la supervision passive du maître du courant.  Et … ça marche.  Pour combien de temps ?  Ah ça, c’est un des feuilletons d’Ataram. A suivre.  Terriens, prenez en de la graine, sur le métier toujours remettez votre ouvrage… avant d’appeler l’homme de l’art. 

26, 27, 28, 29, 30 et 31 se passent, de grains en grains, de pétole en pétole, de coup de moteur en coup de moteur, de pokers mexicains en parties d’échec, de leçons d’espagnol en whist…  Plus de poisson, nos leurres ne conviennent sans doute pas aux habitants sous-marins du coin (un ataramien émettra la suggestion imagée que  « peut être que mettre ce type de leurres ici, c’est comme se déguiser en girafe pour chasser le cerf en Finlande ? » Hmm.  Claude et Margot sont arrivés à Valdivia, il paraît que c’est très beau. 

Novembre voit revenir un vent plus irrégulier.  Mardi 3 novembre, on devrait voir Rapa Nui, le nombril du monde.  Mais il fait très nuageux, rien sur l’horizon au lever du jour.  A 7 heures, une tache dans le gris : ça y est ! C’est Pâques à la Toussaint !  Pendant toute la matinée, l’île va disparaître dans des nuages gris et bas.  Le vent souffle assez fort, depuis l’île…Bienvenue ! Enfin, au moins, avec ce vent de sud-est, on peut mouiller dans la baie de Cook, sur la côte ouest de l’île, devant la ville d’Hanga Roa.  On scrute l’île, la moindre tache est un moai, ha non, c’est un buisson. 

Les instructions nautiques signalent un alignement, que l’on ne trouvera que le lendemain, à terre.  Nous sommes contacté par  la Gobernacion maritima ; contact très cordial mais néanmoins très stict, nous sommes convoqués dans deux heures pour les formalités de douanes.  Le reste du dialogue est un peu surréaliste, nous, cherchant à savoir où nous pouvons mouiller exactement dans un patois franco-anglo-espagnol, eux en castillan le plus pur, désolé de ne pas comprendre nos questions.   Finalement nous mouillons par dix-huit mètres de fond, au milieu de la baie.  On serait tenté d’écrire au milieu de nulle part ;  on a jamais été aussi loin de la terre, mais il paraît que plus près, il y a des roche immergées.  On se fait l’effet des cargos attendant le passage au canal de Panama, mouillés au milieu de l’océan, ou presque.  Toute notre chaîne y passe (65 mètres d’acier de 12 mm), et on ajoutera encore du bout.  Il faudra que le guindeau fonctionne à l’appareillage.  Et dans l’immédiat, il faudrait que le moteur de l’annexe fonctionne… 

Mais il daigne fonctionner.  Le débarquement est folklorique : on fonce vers une zone où déferlent des rouleaux, sur lesquels on distingue des surfeurs.  Il faut attendre l’accalmie, et passer là où ça ne casse pas trop, pour rejoindre la protection de quelques rochers, derrière lequel se cache une petite cale pour les barques de pêcheurs.  A quatre dans notre annexe poussée par nos petits quatre chevaux, on croise les surfeurs, qui attendent eux la vague qui nous retournerait…Hop la yoo, ça ché chamais fu comme l’affirme notre camarade alsacien (Jean-Luc est un strasbourgeois d’adoption).  Mais ça passe.  Sur la cale, que dis-je, le port, on est accueilli par notre premier colosse.  Heureux, ils sont les z’ataramiens.  Ils sont arrivés à l’île de Pâques en bateau !  Un rêve de plus qui s’accomplit. 

Les formalités sont dignes de l’arrivée d’un porte-conteneur.  Les représentants de pas moins de cinq autorités sont là (de la douane aux autorités sanitaires en passant par l’immigration).  Mais tout se passe très bien, climat détendu et sympa.  Les prévisions météos sont encourageantes, pas de problèmes de mouillage les premiers jours ! Pâques, à nous cinq !