Outre le moai
planté sur le port, des sourires nous accueillent, en espagnol et
en polynésien (hola, iaorana). On va être heureux, on
le sent. On est ravis. Quatre benêts déambulent
dans le village, sourire aux lèvres. En arrivant tout à
l’heure, on a eu Bernard et Tuyet, de Peewit en VHF. Nous les avions
rencontré à Colon, Panama, avant de passer le canal.
Ils avaient mille projets, dont celui de venir dire bonjour au cousin de
Bernard, marié à une pascuane, qui tient un restaurant sur
l’île. A l’époque, nous pensions passer à Pâques
avant le reste de la Polynésie, juste après les Galapagos.
Nous étions donc partis porteur d’un message de Bernard à
Jérôme, annonçant son arrivée à court,
ou moyen terme. Et voilà qu’après avoir fait le tour
de la Polynésie, on retrouve les Peewits qui arrivent tout droit
des Galapagos, après avoir passé pas mal de temps au Panama,
notamment pour renvoyer Adèle et Louis, leurs enfants, passer l’été
en France.
Le soir, on retrouve
tout le monde, un cousin de plus - Lucien, frère de Jérôme
- s’étant joint à la fine équipe, au Kona Koa, le
resto de Jérôme. Famille super ! Ils ont tous
voyagé en bateau, et traînés leurs bottes dans des
endroits improbables, comme le Costa Rica des chercheurs d’or, ou paradisiaques,
comme les atolls Polynésiens.
Le Kona Koa accueille
ce soir là un spectacle de danse polynésienne qui n’a rien
a envier au Heiva de Papeete pour la qualité des danses et…la beauté
des danseuses. Les z’ataramiens perdront parfois le cours de la conversation…Belle
île, décidément.
Jérôme
n’est pas le seul français a s’être installé ici.
Une quinzaine de ses compatriotes habitent sur l’île, la plupart
marié à des pascuanes. On les comprend ! Ils
sont restaurateurs, guides touristiques, patron d’école de plongée
ou chômeurs.
Jérôme
a rentré son bateau dans le petit
port d’Hanga Pico. Mais la manœuvre est difficile, et ça bouge
pas mal dans le port. Nous n’y songerons donc pas si les conditions
ne changent pas ; nous sommes très bien au mouillage.
Le lendemain, la grande
exploration commence. On trouve
des chevaux à
louer (pas cher). L’équipage comprenant deux cavaliers accomplis,
c’est hippo-monté que nous ferons notre premier tour dans l’île.
Les bêtes sont braves, mêmes les deux sous-doués de
l’équitation tiennent sur leurs chevaux au galop. Avec moins
de style que Phil et Jean-Luc, bêtes de manège, certes, mais
ils tiennent. On sera guidé par la
chienne de la pension ,
Nous partons vers le
sud, vers le
cratère du Rano Kau. Au fur et à mesure que l’on
s’élève, on découvre le village, puis toute l’île,
grand triangle isocèle dont chaque coin porte un volcan. Les
arbres sont rares, l’île est pelée. Seuls les herbes couvrent
de vert la terre volcanique. Près du village, l’énorme
piste d’atterrissage de l’aéroport Mataveri coupe ce coin du triangle,
isolant le volcan sur les pentes duquel nous sommes du reste de l’île.
La piste, déjà conçue pour les avions longs
courriers a été agrandie pour pouvoir accueillir la navette
spatiale en cas de problèmes lors de ses missions en orbite polaire
(elle n’a encore jamais emprunté cet orbite). Ce fut un apport
conséquent d’argent pour l’île…
Nous arrivons au sommet.
Le spectacle est grandiose, le cratère se dévoilant soudain.
Il se dresse tout au bord de l’océan, et ses pentes déchirées
sont battues par la grande houle du sud. A l’intérieur, un
lac sur le bleu profond, duquel se détachent des taches vertes de
végétation flottante. Tout au bout de la pointe que
le cratère détermine, nous apercevons le
village cérémoniel des hommes-oiseaux, Orongo.
Au large, les trois petites îles sur lesquels se rendaient les candidats
au sacre d’homme oiseaux, le motu Kao kao, le motu Iti et le motu Nui (noms
originaux : petit et grand motu, comme vous devez commencer à le
savoir si vous nous lisez attentivement).
Les braves bêtes
nous ont attendues pendant la visite du village, et nous redescendons à
travers tout vers la côte sud-est, et l’ahu Vinapu, première
concentration de Moai. Après être arrivé en bateau,
on se distingue heureusement des hordes de touristes en tour organisé,
qui débarquent de mini-bus au pas de course pour faire le tour de
l’île dans la journée. On se prendrait presque pour
des locaux en arrivant par les champs à cheval.
Mais outre ce tourisme
de luxe, il y a aussi un tourisme de curieux, moins argentés, qui
s’épanouit dans les petites pensions de l’île. Ces touristes
là, plutôt jeunes, s’intègrent plus ou moins
aux familles qui les accueillent, et forme un petit monde auquel on va
participer. Eux visitent à pied, en vélo, à
cheval, en moto, en voiture pour les plus bourgeois. On en retrouve
quelques uns de sites en sites.
Après quelques
ahu supplémentaires, encore peu impressionnants parce que ne réunissant
que des idoles «
déchues », renversées la face vers le sol, et qui
n’ont pas été relevées, nous entamons le chemin du
retour. Deux options de routes stratégiques séparent
les ataramiens, persuadés de se retrouver au prochain croisement.
Mais les murs qui parsèment l’île ne le permettrons pas, et
nous rentrons séparés.
Excellente entrée
en matière ! Dégeulasses, puant le cheval, on profite
encore un peu de la terre en mangeant chez Raoul, roi des rérés
parlant parfaitement français, qui a de la famille aux Gambier.
Jeudi, grande journée.
Levé pas trop tard (c’ est-à-dire beaucoup plus tard que
les six heures qui finissaient par prévaloir en Polynésie,
mais là on était rarement couché après 10 heures.
Ici, coutume hispanique oblige, on ne va pas au lit avant minuit-une heure
(en semaine, le week-end, c’est autre chose…). Cette fois, on
attaque la moto, en équipage réduit, Jean-Luc a choisi
le vélo. On a craqué pour de superbes XR 250. On va
s’offrir les sensations de vitesses qui nous manquent un peu (quand le
vent et les vagues emmènent Ataram à 9 nœuds, on est très
émus, mais cela reste plus lent qu’une grand mère à
vélo…). Paris-Dakar à Pâques, c’est fort.
L’île se prête parfaitement à la découverte en
quatre pattes ou deux roues, plus qu’en voiture. De nombreux petits
chemins de traverse sont faits pour nous. Par le « camino del
Moai », jonchés de statues isolées, couchées
dans les champs, nous accédons au volcan Rano Raraku, siège
de la carrière où étaient sculptés les géants.
Vision incroyable de ces dizaines
de têtes (les corps sont pour la plupart enterrés) parsemant
les pentes vertes du volcan. Surplombant l’ensemble, la roche
creusée, ou dorment encore d’énormes
carcasses, inachevées. Spectacle inouï, que l’on
reste à contempler, vraiment muets. Nous gravissons les pentes,
côtoyant ces énormes nez, ces oreilles pendantes, ces mentons
orgueilleux, ses orbites vides, faciès de tuf tellement expressifs.
En s’élevant, on aperçoit maintenant au loin sur la côte
sud, l’alignement
parfait de l’ahu Tonga Riki. Cet ahu restauré est le plus
impressionnant : 15 colosses ont été redressés.
Depuis leur promontoire, ils contemplent la montagne qui les a vu naître
. Nous montons maintenant plus haut, pour entrer dans le cratère.
Si ça ne devenait commun, il faudrait écrire que l’on a le
souffle coupé. Dans le cratère, sur les pentes herbeuses,
d’autres moai regardent le lac et, au-delà, l’océan Pacifique,
par dessus les bords affaissés du coté nord, aux pentes ocres
dénudéesHYPERLIEN. Dans le ciel bleu, de grands nuages
blancs passent rapidement au dessus de cette scène splendide.
Le vent souffle toujours du sud-est. Rien à craindre pour
Ataram. On se laisse aller à la contemplation. Mais
l’esprit n’est pas tout, le corps réclame le carburant des efforts
fournis, et nous mangeons adossés à un bon gros sympathique
qui nous abrite du soleil.
On aura du mal à
s’arracher de là. Mais il faut profiter de notre moyen de
déplacement. Après une halte à l’ahu Tonga
Riki, nous nous dirigeons vers la côte nord de l’île. Nous
laissons sur notre droite le volcan Poïke, qui forme le «coin
» Est de l’île; l’accès y est réservé
à certaines heures, et personne n’est là prêt de la
barrière fermant le chemin quand nous y passons. Nous accédons
à la Baie La Pérouse, où une carcasse de bateau du
type du nôtre vient nous rappeler que les conditions ne sont pas
toujours aussi clémentes. Après quelques autres ahu,
nous découvrons l’une des trois plages de l’île, playa Ovahe.
Bien protégée, la petite anse est bordée d’une plage
et d’une grande falaise. Dans la falaise s’ouvre une grotte où
il doit être agréable de passer la nuit.
Plus loin, la
superbe baie d’Anakena, avec un petit air de Polynésie française…La
plus belle plage de l’île, des cocotiers, et un très bel alignement
de moai coiffés
de leur chapeau rouge. Encore un beau tableau…
On repart par la grand
route après échoué à suivre un chemin ( ?)
pour chevaux. Ca devenait très très trial. Comme
quoi, le cheval est supérieure à la moto à Pâques.
On se venge en allant
escalader le quatrième volcan de l’île, celui du nord-ouest,
le Rano Aroi. Grandes courbes pelées, herbes rases,
et petits chemins, faits pour s’amuser en meule. On joue… on tombe,
malgré les bons conseils du Dr ès moto. Rien de grave,
quelques suées pour redémarrer les engins et on repart.
Nous rentrons par
l’ahu Akivi, bel alignement dont la particularité est d’être
fait de statues qui regardent l’océan (les autres sont tournés
vers l’intérieur, pour veiller sur les terres de ceux qui les ont
érigés). Nous longeons enfin la côte ouest, où
se trouvent encore deux beaux ahu.
Plus sales encore que
hier, on va manger sur le bateau. D’autant que ce soir, Bernard vient
sur le bateau pour utiliser notre BLU pour causer à Thierry,
camarade voiliste, copain de Claude aussi, que Peewit a fréquenté
à Panama. Va t’on s’effondrer dans nos couchettes ?
Ben non, on est jeudi, premier soir de sortie pour les pascuans, et on
est invité par notre copain loueur de chevaux et de motos à
boire un verre pré-sortie chez lui. A 23 h, voilà donc
les z’ataramiens en route pour la fiesta. On ne va pas vous imposer
une description complète de nos nuits. Qu’il vous suffise
de vous souvenir que notre dernière sortie remonte, pour Phil et
Eric, au mois de juillet à Tahiti, et Pierre on ne sait même
plus (ha si, incroyable : Port-au-Prince, Haïti !). Nos besoins
festifs ont donc été frustrés.
Mais il faut quand
même que l’on vous dise l’ambiance sympa qui règne dans ces
boîtes de nuit où toute la famille sort, de la grand-mère
au petit dernier, et où passent toutes les musique, du rock à
la salsa, en passant par des morceaux de yukulele, qui donnent lieu à
des démonstrations de danse traditionnelle polynésienne (le
tamure). La boisson reine est le pisco con coca ou sprite (le pisco
est un alcool blanc de raisin, produit uniquement au Chili dans la vallée
de l’Elqui (à Bruxelles, vous pouvez goûter l’excellent apéritif
chilien : le pisco sour (avec du sucre, du blanc d’œuf, du citron et de
la glace) à la maison de l’Amérique latine). Et le must,
c’est dehors : des chevaux sont accrochés à l’extérieur,
qui attendent leur proprio. Très pratique pour rentrer fatigué,
ils connaissent la route. Nous, c’est notre dinghy qui nous ramènera
vers six heures du mat
Vendredi, récupération
des efforts consentis. Découverte pédestre des alentours
et mission cartes postales. Le soir, on mange chez Gilles, à
la taverne du Pêcheur, qui a tout fait, tout vu, et qui fait, bien
sûr, la meilleure bouffe de l’île. Dernière soirée
de Jean-Luc, qui nous quitte demain, pour rejoindre sa Marie-Jeanne à
Santiago. Il faut fêter cela ! Et en plus on ne connaît
qu’ une boite, le Toroko. Ce soir, à nous le Piriti.
Même topo, mais plus de monde, et quelques bagarres, pas bien méchantes,
juste pour l’ambiance. Retour aux mêmes heures, avec le même
moyen de locomotion, peut-être un peu plus difficile pour l’un d’entre
nous (nous vous n’en saurez pas plus…).
Faudrait quand même
pas croire que ces soirées sont improductives. Les boites,
c’est le lieu où rencontrer des pascuans. Hier, on a notamment
rencontré Andy, venu en voilier du Chili, et qui après avoir
continué vers la Nouvelle-Zélande et retour au Chili, est
revenu s’installer ici. Et de quoi parlent des voileux quand ils
se rencontrent, surtout avec quelques verres de pisco dans le nez ?
De voile, bravo, vous avez gagné un apéro. Andy a un
grand projet : il veut ouvrir une école de voile ici. Il attend
les optimistes (petits voiliers rudimentaires pour enfants) qui doivent
lui parvenir incessamment. Il nous jalouse, parce qu’on va naviguer
encore ; on le jalouse, parce qu’il vit au paradis, avec une superbe femme,
dans une jolie maison …
C’est en boite aussi
que Lucien (le frère et cousin) nous explique son boulot ; il dirige
un centre pour enfants atteints de maladies incurables. Phil a fait une
démonstration du site cet après-midi, et Lucien est intéressé.
Le centre a un accès à internet ; ils pourraient communiquer
avec nous. D’autre part, nous pensons que sans doute, nos moussaillons
seraient contents de correspondre avec les enfants que le centre accueille.
Autre type de voyage, expérience difficile…Rendez-vous est pris,
vous en entendrez reparler.
Le lendemain, réveil
obligatoire pour conduire Jean-Luc à l’aéroport. Adieu
à notre plus fidèle équipier (presque deux mois à
bord !).
La suite de la journée
est difficile, mais on se cultive néanmoins en allant siester auprès
des moai. Le soir, on est invités par les Peewits. Chouette
soirée dans ce beau bateau qui en est à son deuxième
tour du monde, mais avec de nouveaux propriétaires. Bernard
est en train de se laisser convaincre de faire les canaux ! D’autant
que hier est arrivé un bateau danois, occupé par un couple
avec deux jeunes enfants, qui ont exactement le même programme que
nous. La dernière objection est donc tombée pour Bernard
: les enfants ne sont pas un obstacle. Il ralliera Valdivia en solitaire,
et Tuyet le rejoindra en avion avec Adèle et Louis pour faire deux
mois de canaux, avant de revenir ici. Chouette, plein de copains
dans les canaux. Pour l’heure, Phil s’endort dans le carré
de Peewit, tandis que Pierre et Eric essaient vainement de satisfaire Louis
qui veut une navette spatiale en légo et aussi une tour de contrôle,
et un vaisseau transspatial. Devant l’échec des apprentis
constructeurs, il crie. Il est temps de nous retirer…
Samedi soir…Va t’on
dormir un samedi soir ? Le jour où toute l’île est de sortie
? Difficile n’est ce pas ? Et nous revoilà au Piriti.
Cette fois, deux d’entre
nous déclarent forfait vers trois heures du mat. Un ataramien
abandonné errera dans l'île jusqu'à l'heure de la messe.
Le dimanche, on retourne
à la carrière, faire nos adieux aux moai. On reste
plusieurs heures à les regarder, les photographier, les filmer.
On est seul sur le site, avec une équipe de télé anglaise
qui achève le tournage d’un documentaire en cours depuis plusieurs
semaines. On est, déjà, nostalgiques.
Un quatrième
bateau est arrivé ; un petit cotre américain avec un couple
à bord. Le mouillage va finir par être encombré
!
Le soir, on bouffe
chez Gilles, en attendant l’avion de Santiago. Pourquoi, Jean-Luc
revient ? Non, c’est Robert, un copain du papa de Pierre, qui arrive
de Los Angeles. Il fait le tour de l’Amérique du sud pendant quelques
mois ; il nous a joint par e-mail juste avant la coupure satellite.
On connaissait donc sa date d’arrivée. Ce fut un bon prétexte
pour traîner un peu…
Robert sera à
Valdivia fin novembre. Aurait-il envie de faire un peu de bateau
? Oui, il veut. Ok, on a gagné un équipier -même
deux, il sera là avec une amie - pour remplacer Philippe,
qui va nous lâcher pour passer du temps avec Patricia, à terre,
parce qu’elle a le mal de mer.
Lundi, on revoit Robert,
on lui confie les mots d’adieu à tous les moai que l’on a pas recroisé.
Course au souvenir et visites d’adieux. Avitaillement, dernier courrier.
On va finir par être prêt. Pas beaucoup de vent.
Est-ce que vraiment … ? Bah, un jour n’y changerait rien , ce qu’on voudrait,
c’est rester encore trois semaines, un mois. Et là, on raterait
le rendez-vous avec l’été austral (et accessoirement, Phil
son rendez-vous amoureux, mais c’est une fausse objection, il y a cinq
vols par semaines…). Quand faut y aller…Maman, veut pas partir pleurent
les petits ataramiens…