Journées du 5 février 98  au 25 février
 
Ataram a traversé l'Atlantique sans nous ! Loué, il a participé à la Transat des Alizés, course transatlantique pour amateurs. L'équipage des locataires s'est bien débrouillé, en se classant de manière très honorable et en gérant bien les tempêtes qui ont frappé le Golfe de Gascogne - un peu - et la côte portugaise - surtout - quand ils s'y trouvaient. L'arrivée se jugeait à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Après, il est descendu en Martinique pour être réceptionné par Saint-Malo Nautic, la société qui nous a vendu Ataram, l'a préparé et l'a donné en location pour notre compte. Depuis Noël, Ataram nous attend sous le soleil martiniquais, au mouillage du Marin, siué au Sud de l'île. 

Pierre est parti seul le 5 février rejoindre notre bateau. Les préparatifs d'un tel départ se sont montrés plus importants que nous le prévoyions. Quitter une vie bruxelloise organisée, boulot, appart, auto, ne se fait pas comme ça. Quand on y ajoute toute les démarches liées à l'organisation du projet pédagogique qui vous permet de nous lire, cela donne des journées (trop) bien remplies. Nous serons deux "en retard". Eric arrivera le 9 février, Philippe le 27. 

Pierre est accompagné d'un autre Philippe, Lambiliotte, qui vient se faire une petite idée de ce que seront faits nos 547 jours à venir. Avec Jean-Marie, qui veille sur notre bateau pour Saint-Malo Nautic, ils vont reprendre le bateau en main, et commencer la remise en état rendue nécessaire par une traversée en course de l'Atlantique. 

Quatre jours plus tard, Eric les rejoint. Décision est bientôt prise d'amener le bateau en Guadeloupe, où plusieurs interventions techniques nécessaires seront plus faciles, du fait des connaissances de Jean-Marie, qui "connaît tout le monde" à Pointe-à-Pitre. Ataram devra notamment être sorti de l'eau, pour réparer un coup à l'étrave, causé dans ... le Port de Saint-Malo cet automne, mais dont on n'avait pas, à l'époque, mesuré l'importance. Au passage, nous déposerons Philippe, l'autre, pas le Dhainaut, à Fort-de France pour qu'il prenne l'avion qui le ramènera aux réalités bruxelloises. 

 
Le 12 février à 18 heures, nous (Eric et Pierre donc) quittons FdeF pour PTP. Nous naviguons de concert avec Bellauche, un Océanis, bateau de série de chez Bénéteau que Jean-Marie doit ramener à PTP. La navigation de nuit est très agréable bien que le vent soit très irrégulier. Il est faible sous le vent des îles, et assez fort à fort (jusqu'à 30 noeuds de vent, 7 beaufort) dans les canaux entre celles-ci. Nous reprenons contact avec Ataram. Cela nous vaut quelques petites maladresses dans les manoeuvres; rien de grave ni surtout d'améliorable. C'est aussi la première fois que nous naviguons seuls, à deux (étrange expression pour dire que nous ne sommes que deux sur Ataram). Nous remontons la côte de la Martinique avant de traverser le canal de la Dominique, de passer sous le vent de la Dominique et de remonter vers les Saintes. Nous arrivons aux Saintes vers 9 h, juste à temps pour un délicieux petit déjeuner à la crêpe bretonne (les îles des Saintes sont habitées par des descendants d'émigrés bretons venu chercher leur paradis; ceci pour ceux qui n'auraient pas été consulter le lexique).  

Le 13, nous nous offrons une petite journée dans cette baie magnifique. Cela nous permet d'observer la double vie de terre d'en haut, île de l'archipel calme, sereine et accueillante le soir et jusqu'à 9h30, et qui est ensuite véritablement envahie par des hordes de touristes. L'expression est usée, certes, mais tellement adaptée ici. Il faut avoir vu le petit ponton du Bourg des Saintes abordé de toute part par des navettes déchargeant une foule venue à la fois de Guadeloupe et des gros paquebots de croisière qui viennent ancrer dans la baie pour la journée. Pendant un moment, on croit qu'il va s'enfoncer dans l'eau sous le poids de ces centaines de pieds en slach ou en nike air, sur lesquels reposent la collection la plus exhaustive qu'il soit de bermuda-tee-shirt. Du touriste-croisière à 10000$/semaine au randonneur fauché, du vidéo-recorder fou aux gentils amoureux, du tour-du-mondiste au fonctionnaire guadeloupéen en week-end prolongé, tout le monde vient aux Saintes. Et malheureusement, l'atmosphère s'en ressent. Le plus agaçant est la multiplication de scooters sur cette île qui, il n'y a pas si longtemps, ne connaissait comme engin à moteur que de rares camionnettes de livraison. Heureusement la meute se retire à 17 heures, repue d'images de maisons traditionnelles et de baies à la végétation chatoyante. On peut alors apprécier ces îles, superbes et malgré tout encore préservées, où les habitations en bois peint se coulent en harmonie avec le cadre naturel. 

Mais nous ne sommes -pas encore- à l'heure du tourisme. Nous devons rejoindre PTP. Navigation de jour cette fois-ci et arrivée à la marina du Bas du Fort, où nous nous mettons sur un catway dans la partie dite "village lacustre" du lagon bleu. C'est une partie un peu à l'écart de la marina. Mais cette dernière étant elle-même à l'écart de PTP, et ne présentant aucun intérêt particulier, nous préférons nous mettre là. 

Nous allons rester plus de dix jours à quai à travailler sur Ataram. Le plus difficile dans ces régions, qui sont pourtant des départements français d'outre mer, c'est de réunir tout ce dont nous avons besoin, surtout en ce qui concerne le petit bricolage en électricité, plomberie etc.... L'un aura le joint que vous avez besoin pour le raccord en "T" que vous a vendu le précédent, qui ne pouvait pas vous donner le joint, la vanne sera chez un troisième et le tuyau...ah le tuyau ! peut-être dans 6 jours, il est commandé, mais avec le carnaval et l'éclipse...disons plutôt trois semaines... Chouette, dans trois semaines nous devons être dans les Grenadines avec nos visiteurs. Finalement c'est dans les réserves d'Ataram, d'une richesse insoupçonnée, que nous trouverons le tuyau ! 

En matière de voile et de gréément, par contre, il y a à PTP des professionnels tout ce qu'il y a d'efficaces. Notre génois, qui a souffert pendant la traversée océanique, doit subir une révision complète. Ce sera l'affaire de deux jours pendant qu'Ataram est mis au sec. Soulevé par une grue, il est déposé sur sa quille. Des soutiens latéraux contribuent à le maintenir en équilibre. Nous profitons de l'occasion pour remettre deux couches d'antifouling sur la coque. L'exercice nous transforme rapidement en schtroumpfs, car nous peignons en maillots et manquons de finesse dans l'usage des rouleaux et brosses (et, vous avez deviné, l'antifouling est bleu !). L'antifouling résistera un certain temps aux douches, pendant lesquelles on se frictionne pourtant au tampon jex. 

Nous aménageons l'intérieur d'Ataram, transformant des placards, et surtout effectuant un grand nettoyage total. Ces travaux sont rendus un peu pénible par la température ambiante dans le bateau, qui doit monter à 40-45° c. Mais que ne ferait-on pas pour le confort de son home pendant 18 mois ? L'idée d'être propriétaires de ce bateau ne s'installe que très lentement dans nos esprit malgré l'investissement enfin physique que nous y mettons. 

Sur le ponton, nous sommes entourés de bateaux qui servent de logements permanents à leurs occupants. Ce sont la plupart du temps des familles entières, qui louent un emplacement à l'année. L'ambiance est assez conviviale. L'état des bateaux est assez variable, mais pour quelques d'entre eux, nous avons de très sérieux doutes sur leur capacité à encore naviguer un jour. Ce sont devenus des maisons flottantes, encombrées d'un fouillis invraisemblable. 

Pour la population locale, la grande préoccupation, c'est la préparation du carnaval. Tous les week-end de février, il y a "entraînement" dans la plupart des villes et villages de Guadeloupe. L'apothéose a lieu du dimanche 22 février au mercredi des cendres, 25 février. Les défilés sont différents; le plus haut en couleur, mais aussi le plus conventionnel, qui a un petit parfum de représentation pour touriste, est celui de Pointe-à-Pitre. Nul doute que pour les participants au défilé, l'investissement est sincère ; mais les spectateurs ne sont pas très "chaud". La douceur de l'atmosphère ne suffit pas à effacer certains souvenirs binchous... Mais dans certains régions plus populaires, l'ambiance est réelle nous dit-on... 

Bien entendu, ces festivités ont un effet légèrement perturbateur sur l'activité commerciale locale... Il est bientôt évident que tout ne sera pas fini sur Ataram pour le jour du départ. De plus, ce jour est jour d'éclipse totale de soleil, toute la Guadeloupe aura les yeux au ciel. Inutile d'espérer des miracles de dernière minute. Qu'à cela ne tienne, de toute façon on nous a prévenu mille et une fois : un bateau, c'est du boulot tout le temps. Partir avec deux ou trois choses à terminer nous paraît donc tout-à-fait normal. On renonce donc à tenter toute recherche de matériel à l'exception de lunettes spéciales qui nous permettront de regarder l'éclipse sans s'abîmer les yeux. Demain donc, on repart pour Le Marin, en Martinique. 

L'équipage d'Ataram sera enfin au complet, puisque nous retrouverons Philippe. Pendant cette vingtaine de jours à Bruxelles, il a couru dans tous les sens pour finaliser toutes les modalités de fonctionnement du site. Demain, nous aurons donc des nouvelles fraîches, un peu plus complètes que ce que nous avons glané comme bribes d'info au cours de conversations téléphoniques "codées" où chaque "équipe" (maintenance bateau - Guadeloupe, Pierre et Eric- et préparation projet- Bruxelles, Philippe) tente de faire partager à l'autre des décisions, des joies et des déconvenues. Cela donne : "- on manque de clés 7/8 pour le moteur mais on a trouvé le joint pour la douche. Tu veux du stoppanni (vernis) mat ou semi-mat ? - Heu, ben, très bien, moi j'ai la caméra, mais je ne sais pas quel chargeur prendre qu'est-ce-que vous en pensez ? - Bof..." etc... 

Demain donc, ce sont les retrouvailles.