Samedi 19 septembre,
10H30 du mat, nous voilà finalement partis. On a fait de l’essence,
de l’eau, plein, plein de bouffe. La météo semble indiquer
que la dépression qui est passée dans le coin hier et avant-hier
s’éloigne. L’aventure de Michel (sur Berani II), qui est parti jeudi
soir pour Bora et qui s’est fait prendre dans un orage incroyablement
violent pour la saison (il y a eu de la grêle à Huahine !),
l’obligeant à se mettre en fuite toute la nuit, nous a rendu prudent.
On a donc attendu sagement. Maintenant, il reste un petit bout de
dépression sur les Australes, au sud, mais elle file au sud-est
(comme nous mais avec de l’avance, donc). Il est donc temps de partir.
On contourne Tahiti
par le sud, histoire de voir des côtes que nous n’avons pas encore
vues depuis la mer. Le vent est très variable, de 30 nœuds
et plus dans les rafales en face des vallées qui créent un
effet venturi, à rien du tout derrière de grosses montagnes
qui font écran. D’où, moitié du trajet au moteur.
On est persuadé que l’on va attraper du vent de nord-est une fois
passé la protection de l’île (la météo l’a dit,
alors…). Mais on se prend du sud-ouest, puis du sud, puis plus rien.
De toute évidence, la dépression des Australes produit un
effet ici, contrecarrant les alizés. Valérie (grâce
à laquelle on a pu mettre le site à jour depuis l’Université
de Papeete) est meilleure météorologue que météo-France
: elle nous avait prédit de la pétole, « classique
après le passage d’une dépression du sud ». Bon
bon, voilà Ataram au moteur depuis la moitié du temps depuis
le départ…
Tout le monde se réamarine,
surtout nos petits camarades, Marie-Jeanne
et Jean-Luc, qui
descendent tout droit de l’Himalaya. La longue houle de sud n’est
pas vraiment dure, mais quand on n’avance pas du tout, le mouvement lent
et mou peut-être difficile à supporter.
Dans l’après-midi
du dimanche, nos prières aux dieux du vent, appuyées par
tout le matériel ramené du Tibet par les globe-trotters («
drapeaux de prière », qu’on laisse s’envoler vers les dieux,
clochettes, encens, et chapelet) semblent porter leur fruit, Ataram démarre,
au cap !
C’était trop
beau, le vent se maintient, mais refuse, s’établissant lentement
sud-est. Et, amis lecteurs, vers où pensez-vous que nous allions
? Enfin, on s’y attendaient, on a même préparé
le bateau pour du près dans une mer dure, et du vent : tout est
accroché, il y a des filets devant les équipets pour les
empêcher de se vider sur notre tête.
Mais les dieux Tibétains
sont très très forts ; on fini par attraper du nord-est le
3ème jour, et nous voilà presque au cap, au près bon
plein dans un petit 4 beaufort. Doucement mais sûrement, on
va aux Gambier.
La
journée du mardi 22 se passe à bricoler sur le
pilote automatique. Pendant la nuit, il nous a fait deux-trois
bizarreries : affichage compas désespérément fixe,
départ au lof ou franche abattée alors que l’on ne demande
qu’une correction de un degré. Il se pourrait bien que
ce soit le calculateur qui foire… Une fois de plus les z’ataramiens vont
se mesurer à l’électronique…Eric se lève de mauvais
poil, imaginant la descente vers le Chili sans pilote…Une sorte d’enfer,
avec des roulements de trois heures à la barre… Il commence
a démonter le cerveau de la bête. Ha, le problème
« électronique » pourrait bien n’être qu’électrique
: les cosses de l’alimentation électrique sont complètement
corrodées, et cassent quand on les démonte. Phil entendant
dans son sommeil parler électricité émerge et s’arme
de son fer à souder pour nous refaire les connections. Nouvel
essai…Ben non, ce n’était pas ça, en tout cas pas que ça.
Lecture du manuel d’installation, et exploration de tout le câblage.
Discussions surréalistes à trois (Jean-Luc participe avec
enthousiasme à nos devinettes électriques). Phil finit
par identifier un court-circuit dans le relais vers le moteur hydraulique
du pilote. Bricolage, inversion (volontaire !)de branchement.
Et….ça remarche…enfin, pas tout de suite, je vous passe les détails,
et le nombre de fois que l’on a réouvert le cerveau, pour réattacher
le truc tombé dans la manip de remontage, refaire les branchements
du machin etc…. Mais à l’heure du punch, tout est OK.
Mais on a plus un besoin urgent de Gilles, parce que, armé de la
patience de Jean-Luc, et des dieux tibétains qui le veillent, on
a remis Marc-Quentin
en service (Marc-Quentin, souvenez-vous, c’est le régulateur d’allure,
celui qui maintient le bateau sur un cap fixe par rapport au vent,
sans énergie, mais qui et un peu délicat de fonctionnement).
Là, les conditions lui sont favorables : vent assez régulier,
mer belle, au près bon plein : il fonctionne bien ! A l’heure
où ces lignes sont tapées, il assure depuis plus de 18 heures.
C’est beau, un bateau qui marche sans intervention électrique !
Le matin suivant, l’homme
béni des dieux a mis les lignes de pêche très tôt.
Et quand l’homme qui sort de son sommeil perpétuel toujours à
point nommé a scruté la mer, il a vu une ligne tendue à
craquer : une grosse daurade
! Miam Miam un Mahi Mahi (prononcez Maï-Maï).
Décidément le chinois qui nous a vendu les leurres était
très fort lui aussi, il nous a dit que c’était des leurres
pour daurade ,et en effet on ne prend que ça
Le Mahi
mahi sera accomodé à la vanille de Huahine. Puis
petite pétole de l’après-midi, qui nous oblige a remettre
un peu de moteur (et donc a rebrancher Gilles, puisque Marc-Quentin dirige
Ataram par rapport à la direction du ... vent ). A 18.00 heures,
on est au milieu de la traversée, plus que 440 MN !
Le jeudi commence bien,
le vent qui s’est levé pendant la nuit tient jusqu’à 14 heures.
Ensuite, beaucoup beaucoup de moteur, dans une mer qui nous arrive de travers,
ce qui fait rouler Ataram très au-delà de l’acceptable.
On se s’offre un petit break vers 16 heures : baignade au milieu de nulle
part pendant une demi-heure, et puis, vroum-vroum, c’est reparti.
Mais en fin de soirée,
le vent revient, de plus en plus fort, on est même contraint d’enrouler
et de prendre un ris.
A l’aube, le vent retombe,
on peut dérouler. Mais voilà que Gégène
refuse de se dérouler ! L’enrouleur est bloqué
en haut. On commence a soupçonner qu’un esprit des îles
blagueur a décidé de semer notre traversée d’embûches.
On enroule un peu à la main, de manière a pouvoir affronter
le vent le plus fort que l’on ait eu jusqu’ici, c’est-à-dire 25
nœuds. Moruroa, l’île des essais atomiques est à 50
milles. Le centre d’essais est aujourd’hui démantelé,
et nous savons qu’une compagnie de légionnaires a été
laissée sur place avec mission, notamment, d’aider les navigateurs.
Nous songeons donc à un petit détour par là pour réparer.
Mais l’atoll est dans notre sud, et bien sûr, le vent vient de là.
Tant pis, on prend la décision de continuer jusqu’aux Gambier, qui
se trouvent maintenant à 250 milles. Dès que
le vent retombera, nous essaierons d’enrouler ce qui reste de génois,
pour être prêt à affronter un coup de vent. Bien
sûr, nous serons alors sous-toilé. Mais il n’est pas
prudent de porter une voile que nous ne pourrons pas réduire en
cas de problème. De plus, il nous semble que les pièces
en haut ont bougé, et on ne veut pas faire subir un effort anormal
à celles-ci. D’où grand spectacle sur l’océan
: Ataram au moteur, grand voile affalée, tournant « autour
» de son étai
pour que la toile du génois, choquée en grand, s’enroule,
même mal, sur l’étai. On finit par avoir un gros paquet
cadeau à l’avant, suffisamment bien souqué pour que l’on
ait rien à craindre. On renvoie
la GV, et on grée
la trinquette. Ataram est paré.
Le vent vient maintenant
du sud-est, comme la plupart du temps dans ces régions. On
est donc au près, sous-toilé, dans une mer confuse : grosse
houle de sud, et mer du vent du sud-est. Pas très enthousiasmant…
Pour finir la journée en beauté, pendant le repas la
drisse de grand-voile casse… Problème mineur, auquel on a déjà
été confronté ; il ne faut pas plus de dix minutes
pour que la toile soit renvoyée avec la balancine en guise de drisse.
Bien sûr, ça ne facilite pas les prises de ris.
Un autre problème,
interne celui-là, touche aussi les trois membres de l’équipage
qui ont re-mangé du poisson hier soir. Ils font des courses
jusqu’à la toilette depuis le milieu de la nuit passée…
Le lendemain, une
coupure de GPS de trois quart d’heure nous laisse entrevoir la possibilité
de devoir naviguer à l’estime (et d’apprendre le sextant) pour le
reste du voyage. La nouvelle est prise avec lassitude mais calme
à bord. Mais la position revient, et on peut confronter l’estime
tenue en fonction du point de 3 heures du mat avec la position réelle.
C’est franchement bon pour la latitude, et moyen pour la longitude.
C’était le dernier
incident d’une traversée qui s’enlise dans le rythme – usant-
du près sous-toilé. Le sommeil est l’activité
principale du bord, quoique peu agréable : il faut se tenir en dormant,
et on s’éveille courbaturé. Mais on pratique quand
même, du petit somme post-petit déjeuner, au pissolino, petit
somme avant la sieste. On tire des bords déprimants,
en essayant juste de ne pas se faire emmener trop loin par le vent qui
refuse. Mais il suffit que l’on vire, pour qu’il revienne au cap
initial, et rende notre nouvelle allure obsolète.
Le matin du 10ème
jour de navigation, une nouvelle bienvenue : on
voit les Gambier ! A 11 heures, on entre dans la passe de l’Ouest,
qui donne accès à l’énorme lagon qui entoure plusieurs
îles hautes. Nous cheminons au moteur dans le long chenal,
contournant Mangareva pour aller mouiller devant le village de Rikitea.
De loin, on aperçoit Azuline, le cata bleu que nous avons quitté
aux Galapagos, qui est venu tout de suite ici. Puis on découvre
les deux "rêves des antilles" de Michel et Pierrot, croisés
également aux îles des tortues. Il y a encore deux autres
bateaux, dont une goelette brésilienne dont nous apprendrons qu’elle
fait le trajet de Magellan depuis le Brésil, et qu’elle y rentrera
le 22 avril 2000, pour l’anniversaire de la découverte du Brésil.
Ils ont tout comme nous, en plus gros, plus cher : soixante kilos de matériel
de prise de vue, une salle informatique climatisée, un site, des
sponsors… Mais l’échange sera bref, ils partent demain et ont encore
des tas de choses à faire. Claude et Margot ne sont plus là,
on le savait, on les a
eu en BLU. Ils ont déjà quitté Pitcairn, et voguent
vers l’île de Pâques.
Les
deux tours blanches de la cathédrale de Rikitea, délire
de Laval et Caret, les missionaires catholiques qui ont régné
sur les Gambier au XIXème siècle, se détachent sur
la montagne. La baie est superbe, surplombée par le
mont Duff. Nous nous faufilons dans le petit chenal qui mène
au mouillage, puis petit tour de salutation avant de mouiller près
de nos vieilles connaissances.
Pas de traces de Pierre,
dont on pensait qu’il atterrissait hier… Peut-être attend-t-il ailleurs
?
Et non, trois heures
plus tard, le voilà sur la berge ! On s’est trompé
de jour, il vient d’arriver ! Tout est bien…